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des lieux abandonnés. Je me tournai vers les Arabes, je leur dis un nouvel adieu, leur fis un dernier salut ; et je me dirigeai vers le sud, avec Sélim, Kaloulou, Madjouara et Bilali, qui portaient chacun une de mes armes.

À peine avions-nous fait cinq cents pas, que l’âne sauvage sur lequel était Shaw, aiguillonné par le rusé Mabrouki, fit une ruade, et envoya son cavalier, qui n’avait jamais été fort en équitation, piquer une tête à côté d’un buisson d’épines. Les cris perçants de maître Shaw nous firent accourir.

« Qu’y a-t-il, mon pauvre camarade ? Êtes-vous blessé ?

— Oh ! miséricorde ! Je vous en prie, monsieur Stanley, je vous en prie, laissez-moi retourner.

— À cause de cette chute ? Voyons, un peu de courage. Il me serait si pénible d’avoir à dire que vous avez reculé. Dans quelques jours vous en rirez vous-même. Il n’est personne qui, au départ d’un lieu agréable, n’éprouve quelque tristesse. Remontez sur votre âne, mon pauvre ami ; dites que vous avez la ferme résolution de venir, c’est le moyen d’en avoir la force. »

Nous l’aidâmes à se remettre en selle. Néanmoins, tout en avançant, je me demandais s’il ne vaudrait pas mieux le renvoyer, que de traîner avec soi, pendant des centaines de milles, un homme qui vous suivait malgré lui. « Et s’il mourait en route ! me disais je. Il est peut-être vraiment malade. Non ; il ne L’est pas ; sa maladie est feinte. » J’avoue cependant que si j’avais été sûr de n’être pis raillé par les Arabes, je l’aurais fait reconduire immédiatement.

Mais bientôt la scène devint intéressante ; il y eut dans le mouvement des collines une hardiesse qui releva les esprits. Shaw fut distrait ; Sélim se félicita de quitter une province où il avait tant souffert de la fièvre. Bombay avait oublié notre querelle et renaissait à l’espoir. « Une fois, disait-il, que nous aurons passé le pays de Mirambo, nous tiendrons le Tanganika. » Mabrouki, l’ancien serviteur de Speke, ne le mettait pas en doute ; moi-même je me sentais ranimé par la vue de ces collines d’un aspect si fier, et qui dominaient de si beaux vallons.

Une heure et demie après le départ, nous étions à Mkouenkoué, lieu de naissance de Maganga, notre premier chanteur.

Les ballots furent serrés dans l’une des maisons du village, et ma tente fut dressée. Déjà la moitié de mes hommes étaient repartis pour Kouihara, afin d’embrasser une fois de plus leurs femmes ou leurs maîtresses.