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de lait, ont complété le menu. Mes gens avaient invité leurs amis et leurs voisins, et une centaine de femmes et d’enfants ont pris part à la fête.

Après le repas sont arrivées cinq grandes cruches de bière ; puis la danse a commencé ; elle dure encore.

19 septembre. Un accès de fièvre que j’ai eu aujourd’hui m’a obligé de remettre à demain notre départ. Sélim est rétabli ; Shaw également. Ce dernier paraît avoir dit que j’allais mourir ; qu’aussitôt que je serais mort, il prendrait mon journal, mes caisses et le reste, et qu’il partirait pour la côte. Dans tous les cas, il a exprimé la ferme résolution de ne pas venir dans l’Oujiji. Si je ne meurs pas, je m’en irai ; et dès que je serai en route, il emplira la cour de volailles, achètera une vache, et aura tous les jours des œufs frais et du laitage.

Ce soir, pendant que ma fièvre était dans toute sa force, il est venu me demander mes dernières volontés, et m’a proposé de les mettre en écrit : « car, a-t-il ajouté, d’un air sombre, les plus vigoureux d’entre nous peuvent mourir. » Je l’ai prié d’aller à ses affaires, et de ne pas venir croasser autour de moi.

Sur les huit heures j’ai eu la visite de Ben Nasib, qui m’a supplié de ne pas partir dans l’état « si grave » où je me trouve ; Thani Sakhbari qui l’accompagnait, a insinué que j’avais besoin d’un mois de repos. À cela, j’ai répondu que les hommes de race blanche ne manquaient jamais à leur parole, que j’avais dit que je partirais demain, et que rien ne m’en empêcherait.

Voyant que je ne céderais pas, Ben Nasib m’a quitté en disant qu’il allait écrire à Sa Hautesse pour lui dire combien j’étais opiniâtre et que j’avais résolu ma propre mort. C’était la flèche du Parthe.

Il est dix heures ; ma fièvre a cessé. Tout le monde dort excepté moi. Je pense à ce que je dois faire, je réfléchis à ma position. Une tristesse inénarrable m’envahit. — La désolation de l’isolement. Nulle sympathie, nul intérêt. Shaw lui-même, un homme de ma race, auquel j’ai prodigué mes soins, a moins d’attachement pour moi que le petit Kaloulou.

Il faudrait plus de force que je n’en possède pour écarter les noirs pressentiments qui m’assiègent.

Mais peut-être ce que je nomme pressentiments n’est il que l’effet des pronostics des Arabes ; l’impression due aux sinistres paroles de ces gens au cœur faux. Ma tristesse a probablement la même cause. Les ténèbres qui emplissent ma chambre, et que me fait