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de nous faire mettre sur la défensive. Il parait que si Mfouto est pris, Mirambo doit marcher directement sur Kouihara.

9 septembre. L’ennemi a éprouvé hier une défaite sérieuse. Il avait d’abord enlevé d’assaut un petit village aux Vouanvamouézi ; mais il a été repoussé vigoureusement sous les murs de Mfouto. Mirambo a perdu trois de ses principaux feudataires. Obligé de lever le siège, il a été poursuivi jusque dans la forêt d’Oumanda, où son armée a été mise en déroute, et où lui-même a fui du champ de bataille.

Les têtes des chefs qu’il a perdus viennent d’être apportées à Kouikourou, boma de Mkasikoua.

11 septembre. Shaw est un hâbleur sentimental, avec une large dose des principes de Joseph Surface[1]. Il y a des moments où il s’enflamme, et fait une sortie éloquente sur les vices de l’humanité, particulièrement sur ceux des riches. Ses philippiques, à cet égard, seraient dignes d’un meilleur auditoire que celui que je peux lui offrir.

Il a des habitudes d’absorption en lui-même, une excentricité absolument contraire à celle de Jack Bunsby. Au lieu de contempler l’horizon, il regarde à ses pieds d’un air qui semble dire : Quelque chose va de travers ; je suis en train de chercher où cela peut être, et comment on peut le rectifier.

Il m’a raconté aujourd’hui que son père avait été capitaine dans la marine royale, et que lui-même avait assisté quatre fois aux réceptions de la reine Victoria. Ce n’est guère possible ; je ne peux pas me figurer le fils d’un capitaine de vaisseau ignorant au point de savoir à peine écrire son nom ; et je ne vois pas comment il aurait pu être présenté à la reine ; j’ai entendu dire que la cour de Saint-James était la plus aristocratique d’Europe.

Toujours est-il qu’il m’en veut énormément parce que je n’ai pas l’air de le croire ; et il a ouvert sur moi le feu d’une batterie sentimentale qui me fait presque pleurer de dépit, tant je suis vexé de m’être affublé d’un pareil homme.

14 septembre. Sélim a constamment la fièvre ; le délire ne le quitte pas. Shaw est retombé dans ses misères ; me voilà tout à fait garde-malade. Je n’ai personne pour me seconder ; Abdou-lKader a l’esprit tellement enfumé par l’odieux tabac du pays, que si je lui demande un service il va à l’aventure, ne sait pas ce qu’il fait,

  1. Tartufe de mœurs ; personnage de l’École de la médisance (The School for scandal), la plus célèbre des comédies de Shéridan. (Note du traducteur.)