Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/255

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que des amis, qui sont en Amérique, si loin, si loin, pensent à un absent perdu au bout du monde ! Personne, à ce qu’ils me disent, ne me croit sur la terre africaine ; on pense que je ne suis pas encore arrivé.

J’ai demandé aujourd’hui à Ben Nasib d’autoriser la caravane de Livingstone à se rendre avec moi dans l’Oujiji. Il n’a pas même voulu m’écouter, disant que je courais à une mort certaine.

4 septembre. Shaw va bien aujourd’hui, même de son propre aveu ; mais Sélim a la fièvre. Pour moi, la force me revient ; quant à mes pauvres soldats, ils déclinent rapidement : Oumgaréza est aveugle, Barati a la petite vérole, Sadala une fièvre intermittente, et Bilati un mal étrange, un ulcère, ou quelque chose à l’arrière-train.

5 septembre. Barati est mort ce matin ; c’était l’un des fidèles de Speke et l’un des meilleurs sujets de mon escorte. J’avais déjà perdu six de mes anciens askaris ; il fait le septième.

J’ai eu toute la journée les oreilles empoisonnées par les rapports des Arabes au sujet du pays que nous avons à franchir : « Les routes sont mauvaises ; elles sont toutes fermées ; les Rouga-Rouga infestent les bois ; les Vouakonongo arrivent du sud pour rejoindre Mirambo, les Vouashenzi se font la guerre. » Bref mes gens sont abattus ; ils se sont pénétrés de ces récits, et partagent l’effroi de ceux qui les répandent. Bombay commence à penser que je ferais mieux de revenir à la côte, et de remettre mon voyage à des temps plus heureux.

Nous avons enterré Barati sous un figuier-banian, à quelques pas et à l’ouest du tembé. Une fosse de quatre pieds et demi de profondeur sur trois de large a d’abord été creusée ; au fond de cette excavation, et près de l’une des parois, on a ouvert une tranchée étroite dans laquelle le défunt a été mis sur le côté, la face tournée vers la Mecque. On avait enveloppé le corps de six mètres de calicot tout neuf. Après l’avoir déposé dans ce lit étroit, on a fait dans la tombe une toiture inclinée avec des bâtons, recouverts d’une natte, afin de préserver le mort du contact de la terre. La fosse a été gaiement comblée, aux sons des éclats de rire. On y a planté un arbuste ; et dans un petit trou, fait avec la main, on a versé de l’eau, pour que le défunt puisse se désaltérer, s’il a soif en allant au paradis. Finalement la tombe a été aspergée d’eau claire ; et la gourde qui avait contenu le liquide a été brisée. La cérémonie achevée, il y a eu récitation générale du