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tout ce que je pourrais dire la situation d’esprit où je me trouvais alors.

Kouihara, 11 août 1871. Arrivé aujourd’hui de Zimbili, village de Bomboma. Quel désappointement ! Je suis presque découragé. Toutefois j’ai une consolation : j’ai fait mon devoir à l’égard des Arabes ; un devoir que m’imposait la reconnaissance. Maintenant que j’ai payé ma dette, je peux continuer ma route.

Je suis heureux d’en être quitte à ce prix-là. Je pouvais être tué dans cette guerre, et j’aurais été justement puni d’y avoir pris part. Cependant, outre l’obligation où j’étais de soutenir les Arabes, après l’accueil que j’en avais reçu, il y avait la nécessité de me frayer un passage. À trente jours de marche d’ici, la route est fermée. Si, avec moi, on pouvait la rouvrir plus tôt, pourquoi eussé-je refusé mon concours ?

Deux fois on a essayé de passer, deux fois il a fallu revenir. La route est décidément interdite ; il faut en prendre une autre. Mais laquelle ? Au nord se trouvent les Vouasouhi et la mère de Mirambo, sans parler des Vouatouta, alliés de celui-ci, et détrousseurs de caravanes. Le chemin du sud paraît plus praticable ; mais peu de gens le connaissent, et les quelques individus capables de me renseigner y représentent le manque d’eau et les Vouazavira comme de sérieux obstacles. Ils disent en outre que les villages y sont rares et très-loin les uns des autres.

Toutefois, avant de prendre un chemin quelconque, il faut relouer des porteurs ; les miens se considèrent comme libérés par notre course à Mfouto, et la perte de cinq d’entre eux a plus que refroidi leur amour des voyages. Il n’y a pas à compter sur les Vouanyamouézi, qui ne partent jamais en temps de guerre.

Ma position est des plus critiques ; j’aurais une bonne excuse pour retourner à la côte. Mais après tant de déboursés, tant d’espoir mis en moi, je ne peux pas : ma conscience me le défend ; je dois mourir plutôt que de retourner.

12 août. Mes pagazis m’ont quitté, ainsi que je m’y attendais. Je les avais pris, disent-ils, pour aller dans l’Oujiji par la route ordinaire ; la chose n’étant pas possible, les voilà dégagés.

Il ne me reste plus que treize de mes gens d’autrefois. Que puis-je faire avec si peu d’hommes et plus de cent charges en magasin ? Je ne parle pas de la cargaison du docteur : dix-sept ballots d’étoffe, six de verroterie et douze caisses. Ses gens continuent à faire bombance et mangent ce qu’il y a de meilleur dans la province.