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Jusqu’au matin arrivèrent des fugitifs ; mais on ne vit reparaître aucun des hommes qui manquaient parmi les miens.

Le jour suivant, au lieu de s’entendre pour réparer leur échec, les Arabes s’accusèrent mutuellement d’avoir poussé à la guerre, quand tout moyen diplomatique n’était pas épuisé. Le conseil tint plusieurs séances, dans lesquelles on parla de retraite. Khamis ben Abdallah, indigné de la lâcheté de ses compatriotes, protesta avec la véhémence d’un monarque insulté. Mais son éloquent délire n’empêcha pas les plans de retraite de gagner des voix. Le bruit de ces propositions se répandit au dehors, et acheva de démoraliser les troupes.

J’envoyai dire aux Arabes que c’était inviter Mirambo à les suivre, à porter la guerre dans l’Ounyanyembé ; qu’il fallait continuer la campagne, que nos forces étaient encore suffisantes ; et je retombai accablé par la fièvre.

Je dormais pesamment, lorsque à une heure et demie, Sélim me réveilla : « Levez-vous, maître, me dit-il, levez-vous ; ils s’enfuient tous. »

Aidé par Sélim, je m’habillai ; et, gagnant la porte en chancelant, je vis Thani ben Abdallah qui se jetait sa veste sur le dos, et qui, les yeux sortis de la tête, me cria : « Vite donc ! Mirambo arrive ! »

Khamis s’en allait également ; lui, le dernier qui dût partir. Deux de mes hommes étaient en train de le suivre. J’ordonnai à Sélim de les ramener, le revolver au poing.

Shaw avait pris ma selle et la mettait sur son âne, se disposant à me planter là, sans s’inquiéter de ce que je pourrais devenir. Il ne me restait plus que Bombay, Mabrouki Speke, Chanda, qui dînait tranquillement, et quatre autres : sept hommes sur cinquante ! Cinq étaient morts ; Sélim en ramenait deux ; le reste avait pris la fuite.

J’ordonnai à Sélim de préparer ma bête ; à Bombay d’aider maître Shaw à seller la sienne. L’instant d’après, nous étions en route, mes gens regardant sans cesse derrière eux pour voir si l’ennemi n’arrivait pas, et faisant prendre à nos ânes un trot désordonné.

Je souffrais tant que parfois j’aurais voulu mourir ; mais au fond la vie m’était douce : je n’avais pas perdu tout espoir au sujet de ma mission ; il fallait vivre au moins jusqu’à ce qu’elle fût remplie.

Que de pensées, que de projets s’agitèrent dans ma tête enfiévrée pendant les heures si longues de ce trajet nocturne !