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leurs mousquets, ils portaient pour la plupart, non-seulement des lances, mais de grands couteaux qui devaient leur servir à décapiter les morts et à les mutiler. Enfin les munitions étaient copieuses ; certains hommes en avaient pour cent coups ; tous les miens pour soixante.

Le 3 août, nous partîmes de Mfouto, où je laissais toutes mes marchandises. Quel que fût le sort de la guerre, elles s’y trouvaient en sûreté ; et, que nous fussions vainqueurs ou non, j’avais la certitude d’être en mesure de continuer ma route.

L’armée, pleine de courage, se mit en marche au son des trompes, au roulement de cinquante gomas ou grosses caisses, avec autant de bannières qu’elle avait de chefs, accompagnée des bénédictions des mollahs, et comblée d’heureux augures de la part des magiciens, des astrologues et des divinateurs du Coran, qui étaient loin de prévoir qu’avant la fin de la semaine cette armée bénie rentrerait dans Mfouto le cœur sur les lèvres.

Oumanda, le village où nous devions camper, était à six heures de marche ; longtemps avant d’y arriver, j’étais dans mon hamac, aux prises avec un violent accès de fièvre, qui ne devait finir qu’à une heure avancée de la nuit.

Le lendemain matin, mes guerriers se barbouillaient d’un onguent magique, fait à leur intention par les sages du lieu, et composé de farine de sorgho, mêlée aux sucs d’une herbe précieuse, dont les devins indigènes connaissent seuls les vertus.

Vers six heures, tout le monde étant prêt, le discours suivant fut prononcé :

« Paroles ! Paroles ! Paroles ! Écoutez fils de Mkasihoua, enfants de l’Ounyamouézi ! La route est devant vous ; les voleurs de la forêt vous attendent. Oui, ce sont des voleurs ! Ils arrêtent vos caravanes et les pillent ; ils prennent votre ivoire, ils tuent vos femmes. Mais regardez ! vous avez les Arabes avec vous. Avec vous est le Vouali du grand sultan d’Oungoudja[1] ; avec vous est l’homme blanc ; avec vous est le fils de Mkasihoua ! Allez et combattez ! Tuez l’ennemi, prenez ses esclaves, prenez son étoffe, prenez son bétail ! Tuez et mangez ! Tuez et remplissez-vous ! Partez ! »

Un cri sauvage accueillit cette fière harangue ; les portes de l’enceinte furent ouvertes, et les guerriers, drapés de bleu, de rouge ou de blanc, s’échappèrent en bondissant comme des gymnastes, répétant les coups de feu pour se donner du cœur, et pour

  1. Zanzibar.