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Au moment de sortir du tembê un homme manqua à l’appel, un seul : mais c’était le capitaine. Pendant qu’on allait le chercher, d’autres partirent pour échanger un dernier regard, une dernière accolade avec leurs noires Dalilas.

Bombay ne fut ramené qu’à deux heures. Son visage exprimait fidèlement le chagrin auquel il était en proie. Quitter les marmites pleines, quitter sa Dulcinée ! Renoncer à de telles jouissances, pour n’avoir en perspective qu’une marche pénible, de longues étapes menant au combat, peut-être à la mort !

Sous l’influence de pareils sentiments, il était naturel que Bombay se montrât rétif à l’ordre que je lui donnai d’aller prendre sa place. De mon côté, les six heures d’attente qu’il m’avait fait subir m’avaient mis d’une humeur exécrable. Il n’y eut de sa part qu’un mot, un simple coup d’œil ; et ma canne voltigea sur ses épaules comme s’il avait dû être anéanti. J’imagine que la violence du procédé était ce qu’il y avait de meilleur pour vaincre son endurcissement ; car le douzième coup n’était pas porté qu’il demandait pardon : c’était la première fois. À ce mot, qu’il n’avait jamais dit, ma canne s’arrêta ; Bombay était enfin dompté.

« En marche ! » Et le guide entraîna la colonne, régulièrement formée de quarante-neuf de ses pareils, qui portaient, chacun, en surcroît d’un lourd ballot de monnaie d’Afrique, un fusil, une hache, un sac de munitions et une marmite.

Le départ s’était fait tristement ; nos hommes gardaient un morne silence. Mais lorsqu’ils furent sur la route, enseignes déployées, sentant flotter derrière eux leurs manteaux rouges, que fouettait un vent furieux du nord-ouest, ils eurent conscience du spectacle imposant que présentait leur colonne, et ils prirent une allure plus martiale ; le géant Maganga se donna des airs de Goliath, allant seul défier Mirambo et ses mille guerriers. Khamisi, le fringant, imita le pas du lion ; Oulimengo, toujours railleur, se mit à singer l’allure cauteleuse du chat.

Une fois la vanité en jeu, le silence ne pouvait pas durer. Il était impossible que leur gravité, ou leur mécontentement, résistât plus d’une demi-heure à la vue de ces manteaux rouges qui leur dansaient devant les yeux. Oulimengo fut le premier à s’en départir. Il avait pris de lui-même les fonctions de guide, et en même temps celle de porte-étendard, qui en est la conséquence. Il était persuadé, comme tous les autres, que le drapeau des États-Unis devait frapper l’ennemi de terreur. Il agita la noble bannière ; la confiance le gagna, puis le courage, puis l’enthousiasme ;