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mars, même en avril, elle aurait été dans l’Oujiji avant l’époque où je la revoyais à Kouihara. Pauvre Livingstone ! Qui pouvait savoir ce que lui faisait souffrir le manque de ces ballots, dont personne alors ne pouvait activer le départ ?

« Quand avez-vous vu M. Kirk pour la dernière fois ? demandai-je à Asmani. — cinq ou sis semaines avant le Ramadan.

— À quelle époque ce paquet de lettres vous a-t-il été remis ?

— La veille du jour ou nous avons quitté Zanzibar.

— N’avez-vous pas vu le consul lorsqu’il est venu chasser au bord du Kingani ?

— Non ; nous avons appris qu’il arrivait ; et nous sommes partis. À deux jours de Kikoka, nous avons fait halte pendant une semaine pour attendre quatre hommes de l’escorte, qui étaient restés à Bagamoyo ; et nous nous sommes remis en marche sans avoir vu le bélyouz. »

Le 7 juillet, vers deux heures de l’après-midi, j’étais, comme à l’ordinaire, assis dans le vestibule ; mais je me sentais faible et distrait. Une somnolence étrange m’envahit peu à peu ; je n’aurais pas pu faire un mouvement ; il me semblait avoir perdu la faculté de remuer. Cependant je ne dormais pas ; toute ma vie se déroulait devant moi avec une netteté singulière. Quand la scène était gaie, j’étais pris d’un fou rire ; si elle devenait sérieuse, j’avais l’air grave ; si elle était triste, j’éclatais en sanglots. Réminiscences du premier âge, souvenirs de jeunesse, scènes lointaines ou récentes, tout surgissait et se succédait rapidement : batailles enfantines, luttes scolaires, chagrins, plaisirs, joies et périls, haines et amours, amitiés et relations indifférentes.

Toutes les phases de ma vie étaient reproduites ; les lignes qu’ont tracées mes pas errants, lignes sinueuses, prolongées ou interrompues, se dessinaient dans mon esprit. Si l’empreinte s’en fût marquée sur mon tapis de sable, quel problème pour ceux qui m’entouraient ; pour moi, quelle histoire intelligible, quel récit plein de clarté !

Parmi les traits aimés, que me rendaient ces tableaux, les plus doux à mes yeux étaient ceux d’un homme, plein de loyauté et de noblesse, qui m’appelait son enfant. De tous mes souvenirs, les plus vifs se rapportaient au Missouri et à l’Arkansas, aux jours passés à rêver sous les arbres des bords de l’Ouachita, grands pins dont j’entendais les soupirs. Le défrichement nouveau, la maison dans la ville naissante, notre vieux nègre dévoué, les daims de la