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chandises qu’il avait apportées de Zanzibar dans un mouchoir de poche, et avec lesquelles il devait acheter de l’ivoire et faire fortune dans l’Ounyanyembé, avaient disparu depuis longtemps, ainsi que les espérances qu’il avait fondées sur elles, comme avaient disparu les rêves d’Alnaschar, l’homme aux faïences des Mille et une Nuits. Tandis que la marche se préparait, Abdoul vint me trouver et m’annonça du ton le plus douloureux « que sa mort était prochaine ; il le sentait dans sa chair, dans la moelle de ses os, dans ses jambes, qui ne pouvaient plus le porter. » Enfin il me suppliait d’avoir pitié de lui et de le laisser partir. Cette requête, si peu en harmonie avec les projets ambitieux qu’il avait eus jadis, venait de ce que, dans la matinée, deux de mes ânes étant morts, j’avais donné l’ordre de lui faire porter leurs selles jusque dans l’Ounyanyembé.

Le poids des deux bâts, qui n’était que de seize livres, n’avait rien d’écrasant ; mais il suffisait pour dégoûter de la vie mon tailleur, qui le voyait avec désespoir s’ajouter aux longues étapes que nous avions en perspective. Abdoul se jeta la face contre terre, me baisa les pieds et me conjura, au nom de Dieu, d’autoriser son départ.

L’expérience que j’avais acquise en Abyssinie, pendant la campagne anglaise, au sujet des Hindous, des coulies, des Malabarais, me dictait ce qu’il fallait faire. J’accordai immédiatement l’autorisation demandée ; car je n’étais pas moins las de mon fainéant que ce dernier prétendait l’être de sa pénible existence. Mais Abdoul ne se souciait pas de rester seul dans la jungle, et me dit qu’il entendait ne se séparer de moi que quand il serait dans l’Ouyananyembé.

« Allez-y d’abord, répondis-je ; nous verrons ensuite. En attendant, vous porterez les selles pour payer la nourriture que vous mangerez d’ici là.

— Êtes-vous sans miséricorde ? s’écria-t-il d’une voix suppliante.

— Oui, pour un lâche tel que vous, paresseux que vous êtes, » répondis-je en accompagnant ces mots d’une volée de coups de fouet qui ressuscitèrent le moribond, et qui le rendirent à la vie active.

Ce jour-là, je le confesse, j’étais de mauvaise humeur. Moi aussi j’étais fatigué ; et le kirangozi, arrivant sur ces entrefaites, eut sa part de reproches.

Je n’avais pas, comme Burton, un Kidogo, sachant se faire obéir.