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de ses porteurs qui avaient la petite vérole, je fis mes adieux au bon Arabe, et je partis avec mes hommes pour me replonger dans le désert.

Un peu avant midi, nous nous arrêtâmes au camp de Mgongo Thembo, nom qui signifie dos d’éléphant, et qui a été donné à ce khambi en raison d’une croupe rocheuse, dont l’échine brunie par les influences atmosphériques, semble aux indigènes avoir quelque rapport avec le dos d’un brun-bleuâtre du géant de la forêt.

En 1857, lors du passage de Burton et de Speke, Mgongo Thembo était un établissement prospère, vendant aux voyageurs le produit de ses cultures[1]. Mais, en 1868, plusieurs caravanes ayant subi des voies de fait de la part de ses habitants, les Arabes de l’Ounyanyembé attaquèrent ses bourgades, y mirent le feu et anéantirent l’œuvre de quinze années de travail. Nous ne trouvâmes à la place de ses villages que des débris carbonisés, et des épines où avaient été des jardins.

Nous nous reposâmes sous un bouquet de dattiers qui me rappela l’Égypte, et qui s’élevait à côté d’un noullah dont les bords verdoyants faisaient un étrange contraste avec le sombre aspect du hallier.

Là, j’eus avec mes hommes une discussion assez vive : la tirikéza que nous avions à faire pour gagner Madédita, devait-elle avoir lieu le jour même, ou être remise au lendemain ? Les pagazis opinaient pour le jour suivant ; mais j’étais le maître ; et consultant mes intérêts, j’insistai, non sans faire claquer mon fouet, pour que le départ fût immédiat.

À une heure, chacun avait repris sa charge, et nous nous mettions en route. Le ciel était en feu ; des torrents de flammes nous inondaient la tête. Quand le soleil baissa, la chaleur devint suffocante ; l’air était brûlé avant d’arriver aux poumons, qui le cherchaient avidement. La bouche et la gorge étaient desséchées ; nos gourdes n’avaient plus d’eau, la soif nous dévorait. Un des pagazis, atteint de la petite vérole, se jeta sur la route et s’y coucha pour mourir. Personne ne s’arrêta : la caravane en tirikéza est comme le vaisseau dans la tempête ; il faut qu’elle avance ; malheur à qui s’attarde ; la faim et la soif n’attendent pas. Malheur à qui tombe à la mer quand l’équipage est en péril.

  1. Voir Burton, Voyage ans grands lacs, page 251, Librairie Hachette. (Note du traducteur.)