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j’en avais pris quatre ; au total cinquante grains. L’effet se manifesta par une transpiration qui mouilla mes flanelles, mon linge, mes couvertures comme si on les eût trempés dans l’eau. Je me levai ensuite, plein de reconnaissance pour le précieux médicament qui me débarrassait des tortures que j’éprouvais depuis une quinzaine.

Ce jour-là, ma tente, sur laquelle flottait le drapeau des États-Unis, attira les regards du sultan de Mizanza et me valut la visite de ce puissant personnage. Comme il était célèbre parmi les Arabes pour avoir secondé Manoua Séra dans la guerre que celui-ci avait faite à Snay Ben Amir, dont Burton et Speke ont parlé avec tant d’éloges[1], et qu’en outre c’était, après celui de Nyamboua, le chef le plus considérable de l’Ougogo, j’étais très-curieux de le voir.

En entrant dans ma tente, dont la portière était levée à son intention, le vieux gentleman fut tellement surpris de la hauteur et de l’arrangement de cette maison de toile, qu’il laissa tomber la cotonnade crasseuse qui le protégeait seule contre le froid de la nuit et contre les feux du jour, exposant ainsi au regard profane du Mousoungou les tristes ruines d’un corps dont les proportions avaient dû être majestueuses. Son fils, un jeune homme de quinze ans, se hâta de l’avertir avec respect de sa nudité ; sur quoi il replaça le mince appareil en ricanant de l’aventure ; puis il alla s’asseoir et donna cours à son admiration. Un soldat varègue introduit au milieu des splendeurs du palais de Byzance, n’aurait pas été plus ébloui que ne le fut le chef de Mizanza en face des objets qui se trouvaient dans ma tente. Après avoir regardé avec stupéfaction la table sur laquelle étaient quelques poteries, et le peu de livres que j’avais avec moi, après avoir béé devant le hamac, dont la suspension lui parut être l’effet d’un procédé magique, examiné les porte-manteaux qui contenaient mes vêtements, il s’écria : « Haï li-i-i ! le Mousoungou est un grand chef, qui vient de son pays pour voir l’Ougogo. » Me prenant alors pour point de mire, il s’émerveilla de mon teint pâle, de mes cheveux lisses, et me posa cette question : « Comment, sur la terre, se fait-il que vous soyez blanc, quand le soleil a brûlé la peau de nous autres jusqu’à la rendre noire ? »

Voyant ensuite mon casque de liège, il en coiffa sa tête laineuse, ce qui l’amusa beaucoup, ainsi que moi-même. Je pris

  1. Voir Barton, Voyage aux grands lacs, page 231. (Note du traducteur.)