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seul peut le faire un Oriental qui vient de perdre deux ânes de Mascate, d’une valeur de cent dollars. Le cheik Thani qui avait plus d’années, d’expérience et de sagesse, lui conseilla d’avertir le sultan de la perte qu’il avait faite. Jugeant que l’avis était bon, Hamed envoya deux de ses esclaves à Pembira pour lui expliquer l’affaire, et reçut en échange cette information que lui rapportèrent ses messagers. Les serviteurs de Pembira ayant trouvé les deux ânes mangeant le sorgho, de leur chef, les avait amenés à celui-ci, qui les gardait pour s’indemniser du dégât commis par les dites bêtes, à moins que leur propriétaire ne lui envoyât, à lui, Pembira Péreh, neuf dotis d’étoffe de première classe.

Hamed fut au désespoir. Neuf dotis d’étoffe précieuse, soixante-douze coudées qui, dans l’Ounyanyembé, vaudraient vingt-cinq dollars ! neuf dotis pour une poignée de grain, valant à peine une demi choukka ; c’était absurde. Mais s’il ne payait pas, on lui prenait cent dollars, que représentaient les ânes.

Il résolut d’aller trouver Pembira pour lui démontrer l’absurdité de la réclamation, et pour lui offrir un demi doti, en lui prouvant que c’était plus du double de la valeur du grain mangé par les deux bêtes.

Quand il arriva, le sultan qui buvait depuis l’aurore, était dans un état d’ivresse — je suppose que c’est son état normal — état qui ne lui permettait pas d’entendre la cause.

La plupart des chefs de l’Ougogo ont auprès d’eux un Mnyamouézi qui est leur conseiller, leur ministre, leur bras droit, leur homme à tout faire, excepté le bien ; une sorte d’arlequin, formé d’une telle dose d’intrigue, de cupidité, de fourberie et d’audace, qu’on a toujours envie de traiter ce personnage comme on traite les bêtes nuisibles.

Ce fut le Mnyamouézi de Pembira qui reçut le cheik Hamed. Impossible d’en rien obtenir : pas moins de neuf dotis, ou le sultan garderait les ânes.

Hamed s’en alla comme il était venu. La journée s’écoula ; pas de nouvelles de l’affaire ; d’où il résulta que la nuit suivante Hamed ne put fermer l’œil. Heureuse inquiétude, qui le préserva d’une perte plus grande que celle qui l’empêchait de dormir. Vers minuit un voleur s’introduisit dans le camp, et enlevait à notre Hamed une charge de cotonnade, lorsque le petit homme fit siffler à l’oreille du pillard une balle qui le mit en fuite.

Le Mnyamouézi avait touché comme tribut, au nom de son maître, cinquante et un dotis de nos trois caravanes et de celles