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serait très-insignifiant s’il n’était pas le plus grand chef de l’Ougogo, ayant même une sorte de suzeraineté sur beaucoup d’autres peuplades. Malgré sa puissance, il est fort mal vêtu, plus misérablement que pas un de ses sujets ; et toujours crasseux, toujours gras, toujours la bouche sale ; mais par excentricité, non pas par idiotisme. C’est un homme extrêmement fin ; il a toujours en réserve un biais pour rançonner les Arabes qui passent ; et comme juge, il est sans pareil, expédiant avec aisance une tâche judiciaire qui accablerait le commun des martyrs.

Le Cheik Hamed notre commandant, était encore plus minime que le sale vieillard. Un tout petit personnage, petit et mince, qui compensait l’exiguité de ses proportions par une activité dévorante. Jamais de repos. Même dans les haltes, on voyait ce Petit-Poucet toujours allant, venant, furetant, s’agaçant, dérangeant tout, et troublant tout le monde.

Nos ballots ne devaient pas être mêlés, ni déposés trop près des siens, ni rangés de telle ou telle manière. Il avait une façon à lui d’empiler ses bagages, et restait là pour les faire entasser. Du premier coup d’œil il choisissait le meilleur endroit pour y planter sa tente, et ne souffrait pas qu’on empiétât sur son terrain. À le voir si frêle, on se serait imaginé qu’après une marche de dix à quinze milles il eût été heureux d’abandonner ces menus détails à ses gens ; mais non ; rien ne pouvait être bien fait s’il n’était là ; d’ailleurs infatigable : le mot lassitude n’existait pas pour lui.

Une autre particularité de son caractère, mais celle-ci plus commune, était d’être fort intéressé. Il n’était pas riche, voulait le devenir, et se donnait beaucoup de mal pour tirer d’une choukka ou d’un rang de perles tout ce qu’on pouvait en extraire ; chaque nouvelle dépense semblait lui arracher le cœur ; il était près de verser des larmes, il le disait lui-même, chaque fois qu’il pensait à la cherté des vivres, et aux exagérations du tribut. Double motif qui nous assurait que nous resterions le moins possible dans l’Ougogo, où la vie était fort chère.

Nous étions donc campés à Nyamboua, dont le souvenir restera dans la mémoire d’Hamed, gravé à jamais par une douleur poignante. Tandis que le petit homme se trémoussait dans le camp, absorbé par son tatillonnage, deux de ses ânes s’égarèrent dans le sorgho de Pembira. Dès qu’il s’aperçut de leur disparition, Hamed courut avec ses gens à la recherche des deux bêtes. Il revint le soir sans avoir rien trouvé, et se lamentant comme