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heures du matin quand on sonna le rappel, j’étais botté, éperonné comme à l’ordinaire, remonté sur ma bête, et dirigeant mes hommes.

À huit heures nous avions fait nos trente-deux milles. Le désert était franchi ; nous entrions dans l’Ougogo, cette province qui pour mes gens était un sujet de crainte, pour moi une Terre Promise.

Les jungles furent longtemps à s’éclaircir, les défrichements à paraître. Ils se montrèrent enfin : rien encore, le sol était nu. La marche continua ; l’herbe revêtit des collines situées à notre droite, parallèlement à la route. Puis des bois sur les pentes, enfin la vue des cultures. Une grande vague de terre rouge, couverte de plantes sauvages, graminées et autres, fut escaladée, et les champs de grain s’ouvrirent devant nous.

Ce n’était pas là ce que j’attendais. Je m’étais figuré un plateau escarpé, dominant le désert de quelque cent mètres, et révélant tout à coup son étendue et sa richesse. Au lieu de cela une transition insensible ; au sortir d’herbes folles, un horizon borné par des tiges de sorgho, dans les limites les plus étroites ; des collines entrevues par hasard, un sol toujours aride.

Cependant, aux environs du premier village apparurent quelques traits particuliers. Il y avait là une grande étendue, tantôt plane, tantôt soulevée, ici unie comme une table, ailleurs présentant des mamelons, hérissés d’énormes quartiers de roche, posés les uns sur les autres comme si des enfants de race titanique s’étaient amusés à en faire des bâtisses ; et malgré leur amoncellement, chacun des matériaux de ces piles, éclat anguleux ou bloc arrondi, semblait avoir été projeté violemment par une force souterraine. L’un d’eux, situé près de Mvoumi, attira surtout mon attention ; vu à travers les branches d’un vieux baobab, il ressemblait si bien à ces tours carrées des anciennes forteresses, que pendant un instant je me flattai d’avoir fait une découverte extraordinaire. Un regard jeté de plus près dissipa l’illusion ; c’était simplement un cube rocheux, de quarante pieds sur chaque face.

Les baobabs jouaient également dans la scène un grand rôle ; pas d’autres arbres dans toutes les parties cultivées. Il y avait à cela probablement deux raisons : le manque d’outils nécessaires pour abattre une pareille masse, et la farine, qu’en temps de disette, peut fournir le fruit du colosse, farine qui est mangeable à défaut d’autre chose[1].

  1. Voir, à propos de cette farine et des baobabs de l’Ougogo, Burton, Voyage aux Grands Lacs, pages 226 et 228. (Note du traducteur.)