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interminable jungle, formée de bois épineux. Vers la fin du trajet — un peu moins de deux milles avant d’atteindre le camp — la route suivit le fond d’une petite rivière, alors à sec ; et, large comme une avenue, elle arriva au camp de Mpouapoua, qui a dans ses environs une quantité de ruisseaux des plus limpides.

Exténués par ces longues marches, nous étions parfaitement disposés à jouir des produits du Mpouapoua, comme le sont d’ailleurs toutes les caravanes qui sortent de l’Ouségounha et de l’Oudoé, ces terres infestées par les mouches. Là nous trouvâmes le cheik Thani, le bon Arabe dont l’éloquence nous avait rendu si grand service. Il était campé sous un énorme figuier, où, depuis deux jours, il se régalait de mouton gras, de laitage, de bosse de bœuf ; et il comptait bien prolonger cette bombance quelque temps encore, avant d’affronter les privations et les tirikézas du Marenga Mkhali[1].

« Non, me dit-il vivement, ne partez pas ; donnez à vos gens et à vos bêtes deux ou trois jours de repos. Engagez de nouveaux porteurs, rassasiez-vous de toutes les bonnes choses que vous trouverez ici ; puis nous ferons route ensemble, et sans nous arrêter. L’Ougogo est riche en laitage et en miel, en farine, en légumes, en denrées de toute espèce ; et Inch Allah ! nous y serons avant huit jours. »

D’après tout ce qu’on m’en avait dit, l’Ougogo m’apparaissait comme une terre promise, et j’avais hâte d’y arriver pour guérir mon estomac de ses défaillances. Mais quand je sus que l’endroit où je me trouvais n’était pas moins riche en denrées de toute sorte, je cédai aux conseils de mon vénérable ami.

Toute la matinée suivante fut occupée à obtenir des naturels les vivres qu’ils ne se pressaient pas de m’accorder ; et lorsqu’enfin j’eus des œufs, du mouton, du lait, du miel, de la farine, des haricots, du beurre fondu en quantité suffisante pour un repas respectable, je mis tous mes soins et tout mon art à transformer ces

  1. Dans le langage du Sahouahit, dit Burton, Kou tirikza ou tilikeza est l’infinitif d’un verbe neutre qui veut dire être en marche après midi. Les Arabes en ont fait un substantif désignant une marche forcée, reprise dans le milieu du jour. C’est pour l’Africain la plus rude de toutes les épreuves. En sortant de l’ombre, où la halte s’est faite, on entre dans une fournaise dont l’ardeur vous saisit ; le ciel est en flammes, le sol fume ou étincelle, l’air vous sèche les yeux. La tirikéza est toujours d’une longueur exceptionnelle. Souvent la lune brille avant que les pagazis atteignent le Kraal, où ils arrivent la face déchirée par les épines, les pieds lacérés par les cailloux et par les souches.(Note du traducteur.)