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nous traitez. Je dis que vous m’écrasez de fatigue, que nous pensions avoir des ânes et des serviteurs, et qu’au lieu de cela vous me faites marcher tous les jours, en plein soleil, jusqu’à me faire sentir que j’aimerais mieux être en enfer que dans cette expédition damnée ; et je voudrais que tous ceux qui en font partie, fussent au diable. Voilà ce que je dis, monsieur[1].

— Écoutez-moi Shaw, et vous aussi, Farquhar. Depuis notre départ jusqu’au moment où nous les avons perdus, vous avez eu des ânes. Les serviteurs ne vous ont pas manqué : on a dressé vos tentes, fait votre cuisine, porté vos bagages. Mes repas ont été les vôtres ; à cet égard, pas de différence entre vous et moi. Aujourd’hui, les ânes nous manquent ; tous ceux de Farquhar sont morts ; j’en ai perdu sept, et les autres faiblissent. Il m’a fallu jeter divers objets qui faisaient partie de leur charge. Bientôt il ne m’en restera plus ; il faudra les remplacer, louer de nouveaux pagazis — une dépense énorme. Et c’est en face d’un pareil état de choses que vous osez vous plaindre, vous emporter, me maudire à ma propre table ! Rappelez-vous donc le pays où vous êtes, et votre qualité de serviteur ; je ne suis pas votre compagnon.

— Au diable le… »

Avant qu’il eût fini sa phrase, maître Shaw était par terre.

« Faut-il continuer la leçon ? lui demandai-je.

— Monsieur, répondit Shaw en se relevant, permettez-moi de vous dire : le mieux est que je m’en aille. J’en ai assez et je n’irai pas plus loin. Veuillez me donner mon congé.

— Oh ! certainement. »

J’appelai Bombay :

« Cet homme veut partir, lui dis-je. Pliez sa tente, apportez-moi ses armes ; prenez ses effets, et conduisez-le à deux cents mètres du camp, où vous le laisserez avec ses bagages. »

Peu de temps après, Bombay avait exécuté mes ordres et revenait avec quatre soldats.

« Maintenant, monsieur, dis-je à mon contre-maître, vous pouvez partir ; vous êtes libre. »

Il se leva et sortit avec l’escorte.

Après le déjeuner, je démontrai à Farquhar la nécessité d’une

  1. On sait combien les mots d’enfer, de damnation et de tout ce qui s’y rapporte blessent une oreille anglaise ou américaine. Ces énormités ne sont indiquées dans le texte que par leurs initiales.(Note du traducteur.)