Page:Stanley - Comment j'ai retrouvé Livingstone, trad Loreau, 1884.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Nisus et Euryale, de Thésée et Pirithoüs, de Damon et Pythias, d’Achille et Patrocle, se tenaient embrassés deux à deux, et se confiaient mutuellement leurs opinions sur notre couleur et sur nos habits.

Tous ces gens étaient sortis de leurs murailles au cri de mkouba Mousoungou ! — le grand Mousoungou, — paroles qui semblaient avoir sur eux la même influence que la musique de l’homme aux deux flûtes sur les rats d’Hamelen. Ils avaient passé la rivière, et je commençais à craindre que la catastrophe de la légende ne dût se répéter, lorsque, heureusement pour le repos de mon esprit, la foule trouva le soleil un peu vif, la marche un peu longue et s’en alla[1].

Notre camp fut dressé au bord de l’Oungérengéri, qui est à quatre milles de la Cité-Lion. Il nous fallait visiter les bagages, réparer l’équipement des ânes, et soigner plusieurs de nos bêtes, dont l’échine était gravement endommagée. Par tous ces motifs, je résolus de passer là deux jours, d’autant mieux que les provisions abondaient à Simbamouenni.

Tous les ballots enveloppés de makanda, c’est-à-dire recouverts de nattes, furent trouvés en bien meilleure condition que je ne l’espérais, vu l’énorme quantité d’eau qu’ils avaient reçue. Nous étions alors en pleine masika. Mais différents objets, pour nous d’une grande valeur, tels que les armes, le thé, les munitions, qui se trouvaient dans des caisses, avaient souffert ; ce que j’attribuai à la négligence de Shaw. Celui-ci avait fait passer les ânes, porteurs de ces caisses, au milieu d’eaux profondes, sans décharger aucune de ses bêtes, ainsi que le moindre bon sens l’aurait voulu. Appelé dans ma tente, où je lui montrai le résultat de sa conduite, mon homme entra dans une vive colère. Il se plaignit d’avoir trop d’ouvrage, m’accusa d’être impossible à contenter, et finit par me dire qu’il n’attendait que le passage d’une caravane

  1. Les habitants d’Hamelen, grande ville située au confluent du Hamel et du Weser, et qui florissait au quatorzième siècle, virent arriver dans leur port un vaisseau chargé de marchandises inconnues. Ce vaisseau n’avait pour équipage qu’un vieillard qui portait deux flütes suspendues à son cou : une d’ivoire, l’autre d’ébène. Dépouillé de ses marchandises par les gens d’Hamelen, l’étranger s’éloigna en lâchant dans la ville, trois petits rats qui se multiplièrent au point que les habitants offrirent cent mille écus d’or à qui les en délivrerait. Le vieillard revint, joua de sa flûte d’ivoire, et tous les rats le suivirent. Mais délivrés du fléau, les Hamelénois refusèrent la somme promise. Le vieillard prit alors sa flûte d’ébène qui entraîna tous les enfants de la ville ; et ceux-ci, traversant la rivière à la suite du musicien, périrent jusqu’au dernier. (Voir Magasin pittoresque, 1843 T. XI, p. 81.) (Note du traducteur.)