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Ce scepticisme aimable n’allait pas sans une pointe de mélancolie ; comme beaucoup d’esprits supérieurs, Julie Hasdeu était timide ; elle craignait de s’épancher, elle se repliait sur elle-même, elle semblait froide et indifférente à ceux qui ignoraient les rares qualités de son cœur et de son esprit. Elle se rendait compte de l’effet que pouvait produire sur certaines personnes cette froideur apparente, elle s’en excusait auprès de ses amis dans des vers délicats que nous regrettons de ne pouvoir citer tout entiers :


… Pourtant je sais bien aimer,

Mon cœur n’est pas insensible,
Mais je ne peux m’exprimer.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


On dit qu’un cœur de femme est une étrange chose,
Que c’est un labyrinthe où la raison se perd :
C’est quand on le croit plein qu’il est le plus désert,
C’est quand il est heureux qu’il semble plus morose.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Il souffre le premier à cacher sa douleur
Et saigne abondamment sous son masque rieur :
La nature l’a fait ferme et pourtant timide.

Il te faut donc mentir toujours, ô pauvre cœur !
Va, ne sois pas honteux s’ils l’appellent perfide,
Ta perfidie est un tribut à la pudeur.


Notre Paris, avec l’intensité de sa vie littéraire et artistique, avait conquis tout entière cette âme ardente, son souvenir poursuivait Julie Hasdeu même dans les trop rares visites qu’elle faisait à son pays natal. Dans des vers datés de Bucarest, septembre 1887, elle se plaisait à évoquer le Paris du moyen âge, la ville des escholiers, des ribauds et des moines, et à lui opposer le Paris moderne :

Où la science est reine, où tous les arts sont rois ;
Honte à qui, sans fléchir le genou, le contemple !

Mais la capitale du monde intellectuel, avec toutes ses splendeurs, n’était cependant pour la jeune Roumaine qu’un lieu d’exil : dans une pièce exquise, où l’on sent d’ailleurs l’influence évidente de M. Sully Prudhomme (la Rose au Vase), elle se comparait à la fleur arrachée au sol natal et qui meurt du regret des jours envolés :


Le souvenir qui la dévore,
Qui la consume lentement,
C’est l’ombre des bois qu’elle adore,
C’est l’azur chaud du firmament.

Bien plus que l’eau dont on l’arrose
Pour retrouver son teint vermeil,
Elle aimerait, la pauvre rose ;
Sentir un rayon de soleil.

Telle je suis, ô fleur flétrie,
Arrachée à mon sort natal.
Je languis loin de ma patrie
Comme toi dans ton fin cristal.


À force de languir, la rose finit par s’effeuiller tout à fait ; la pensée de la