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à l’école ; elle allait tout droit aux modernes : à Lamartine, à Victor Hugo, à Musset. à Sully Prudhomme, à Coppée. Mais ces poèmes, écrits pour elle seule et qu’elle n’a de son vivant, croyons-nous, communiqués à personne, elle les marquait d’une empreinte originale. Elle ne traduisait en vers que des impressions réelles. Elle ne savait de l’amour que ce qu’elle en avait lu chez les maîtres ou ce qu’elle pouvait soupçonner par des confidences ingénues :


L’amour au sournois regard
Est là qui nous guette,
Mais nous connaîtrons bien tard
Sa peine secrète.

Amour, nous avons quinze ans
Et c’est le bel âge ;
Nous rions des jeunes gens
Au pâle visage.

Blond amour aux traits perçants
Tu produis des larmes,
Mais ce n’est pas à quinze ans
Que l’on craint tes larmes.


Elle écrivait ces vers en septembre 1885 ; deux ans plus tard, au retour d’une soirée, elle notait les impressions que venait de lui faire éprouver la vue de deux fiancés tendrement épris : « J’ai vu une de mes amies, belle et charmante, qui venait de se fiancer à un homme de trente ans, beau, intelligent, en tout point digne d’elle. Ils étaient tous les deux, et je les trouvais vraiment gentils. Ils avaient l’air si heureux ! Moi qui me moque sincèrement de l’amour, ne l’ayant pas encore éprouvé, je me disais en les regardant : Décidément ils sont heureux ! Ils sont fous, mais ils sont honteux ! Et, en rentrant, presque machinalement, j’ai composé ces vers :


S’il est vrai que les amoureux
Sont partout et toujours heureux
En germinal comme en brumaire,
C’est qu’il n’est pas d’effroi pour eux,
Car ils ont foi dans la chimère.

S’ils aiment les sentiers ombreux
Et la paix des soirs vaporeux,
Et la nature, auguste mère,
S’ils sont rêveurs et langoureux,
C’est qu’ils adorent la chimère.

On se rit de leurs songes creux ;
Mais ici bas les amoureux
De nos jours, comme au temps d’Homère,
Sont peut-être les seuls heureux :
Car c’est le bonheur, la chimère !