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CONCLUSION.

vent elle l’interrompit par ses gémissements. Enfin Léonce, accablé par plusieurs nuits d’insomnie, laissa tomber sa tête sur les genoux de Delphine, et s’endormit pendant une heure. Elle le regardait dans toute sa beauté ; ses cheveux noirs tombaient sur son front et son visage conservait encore une expression d’attendrissement dont le sommeil n’altérait point le charme.

Ah ! qui s’est jamais vu dans une situation si cruelle ! La malheureuse Delphine éprouva, pendant cette nuit, tout ce que l’âme peut souffrir de plus déchirant. Elle sentait le temps s’écouler, et regardait sans cesse à la fenêtre, craignant d’apercevoir les avant-coureurs du jour. Ses yeux se portaient alternativement du visage enchanteur de son amant à ce ciel dont les premiers rayons devaient le lui ravir ; mais bientôt elle aperçut sur le mur opposé à la fenêtre la fatale lueur qui annonçait le jour, et avant que Léonce fût réveillé, le soleil avait percé dans cette demeure du désespoir. « Ô Dieu ! s’écria-t-elle, pas un nuage, pas un voile de deuil sur ce soleil ! le plus brillant de la nature pour éclairer le plus horrible des forfaits et le plus infortuné des êtres ! » Enfin le coup de tambour, ce bruit subit et funeste, réveilla Léonce. Il leva les yeux sur Delphine, et, l’embrassant avec transport : « C’est toi, dit-il, c’est encore toi ! jusqu’à mon dernier moment ta vue aura le pouvoir de suspendre toutes mes peines ! »

Léonce se hâta de rattacher ses cheveux en désordre, pour donner à toute sa contenance l’air du calme et de la fermeté. Delphine alors se tenait à quelque distance de Léonce, suivait ses mouvements, et s’appuyait de temps en temps contre la muraille, soutenant par la puissance de sa volonté ses forces prêtes à défaillir. Enfin Léonce s’approcha d’elle, et, remarquant l’extrême altération de ses traits, il ne put réprimer plus longtemps ce qu’il éprouvait. « Delphine, s’écria-t-il, dans cet instant sans espoir, un mouvement cruel et doux m’entraîne encore à te le répéter : oui, je regrette ma vie ! Quand mes farouches ennemis vont paraître, je saurai leur cacher ce sentiment, mais je te l’avoue, à toi qui me l’inspires, à toi… » Les soldats approchaient de la prison, et l’on ouvrit les verrous pour les recevoir. Alors Delphine, comme hors d’elle-même, se jeta aux genoux de Léonce, et s’écria : « Mon ami, pardonne-moi ta mort, dont je suis la véritable cause. Je n’ai jamais aimé que toi ; jamais ce cœur n’a tressailli qu’en ta présence, jamais une autre voix n’a régné sur mon âme ; nous allons mourir ensemble, quand de longues années d’union et de tendresse pouvaient nous être accordées ; il le faut ! Les barbares avancent ; encore un instant, mais que