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DELPHINE.

votre réputation, sans doute, ne sera point attaquée ; mais, si jamais je pouvais être appelé à la défendre, quelle force, quelle énergie ne trouverais-je pas dans l’admiration que m’inspire votre courageuse conduite ! — Maintenant, reprit Léonce, encore une prière, et la plus sacrée de toutes ! »

Il conduisit M. de Serbellane vers la fenêtre, pour lui recommander Delphine quand il ne serait plus. Il aurait pu parler devant elle sans qu’elle l’entendit ; ses réflexions l’absorbaient entièrement. Immobile et pâle, quelquefois elle tressaillait, mais elle n’écoutait ni ne voyait plus rien, et ne versait pas même une larme. Quand toute espérance est perdue, toute démonstration de douleur cesse ; l’âme frissonne au dedans de nous-mêmes, et le sang glacé n’a plus de cours.

Léonce entra dans les plus grands détails avec M. de Serbellane sur la conduite qu’il devait tenir pour conserver les jours de Delphine, si sa douleur lui inspirait le désir de les terminer. M. de Serbellane non-seulement lui promit tout ce qu’il désirait, mais sut presque le rassurer, en se montrant digne de soutenir et de consoler l’infortunée remise à ses soins. Léonce, touché de son noble caractère, ne put lui témoigner sa reconnaissance sans avoir les yeux remplis de larmes ; il était resté ferme contre le malheur, mais en retrouvant la pitié il s’attendrit. « Adieu, mon ami, lui dit-il, laissez-moi seul avec elle ; demain, avec le jour, revenez la chercher ; vous recevrez le dernier serrement de main d’un homme qui vous estime et vous honore. Adieu. »

M. de Serbellane, en s’en allant, s’approcha de Delphine, et lui demanda sa main qu’elle abandonna : « Madame, lui dit-il d’une voix émue, courage et résignation ! les plus vives douleurs ont encore cette ressource. » Un profond soupir souleva le sein de Delphine : « N’oubliez pas Isaure, lui répondit-elle. Adieu. »

M. de Serbellane sortit, se promettant de revenir le lendemain auprès de ses infortunés amis. Alors Léonce et Delphine se trouvèrent seuls au commencement de cette nuit solennelle qu’ils devaient passer ensemble, dans cette sombre prison qu’éclairait une lumière pâle et tremblante ; ils entendirent le geôlier refermer sur eux les verrous. « Ah ! s’écria Delphine, si ces portes pouvaient ne plus s’ouvrir, si le jour pouvait ne jamais se lever, quels lieux de délices vaudraient cette prison ! Léonce, pourront-ils t’arracher à moi ? » Et elle le serrait dans ses bras avec une force surnaturelle, à laquelle succédait le plus profond abattement. Léonce, effrayé de son état, voulut fixer sa pensée sur quelques idées plus douces, et, passant ses bras au-