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DELPHINE.

sultez, lui dit le juge, parce que je veux obéir aux lois de mon pays. — Moi ! je vous insulte ! s’écria Delphine en se jetant à ses pieds ; ô Dieu ! s’il m’est échappé une seule parole qui puisse vous blesser, si mon trouble ne m’a pas permis d’être maîtresse de mes discours, ah ! n’en punissez pas mon ami. Est-il coupable de mon imprudence, de ma faiblesse, de ma folie ? Dites, serait-ce moi qui vous irriterais contre lui, moi qui ai déjà fait tomber tant de douleurs sur sa vie ? Ah ! je me prosterne devant vous : juste ciel ! voudrais-je vous offenser ! quelle réparation voulez-vous ? parlez. » Et l’infortunée, à genoux, penchait son visage jusqu’à terre, dans un état si déplorable que le juge en fut touché. « Non, madame, lui dit-il en la relevant, vous ne m’avez point offensé ; non, soyez tranquille ; si je pouvais sauver M. de Mondoville, ce serait pour vous que je le ferais. » Delphine étonnée, saisie d’un premier espoir qui redoublait encore la violence de son état, s’appuya sur le bras de cet homme qui ne l’effrayait plus, et lui dit dans une sorte d’égarement : « Ce serait pour moi que vous le sauveriez ! vous savez donc que je vais mourir aussi ? En effet, vous n’avez pu croire que je survécusse à cet être si bon et si tendre. Il va porter dans le tombeau tant d’affections pour moi, pour moi, pauvre insensée, qui ne lui ai fait que du mal ! Qu’importe, au reste, que je meure ! la mort est mon unique espoir ; mais vous qui pouvez tout, me refuserez-vous ce mot sacré, ce mot du ciel qui absout l’innocent et rend la vie aux infortunés qui la chérissent ? Hélas ! dans les temps orageux où nous vivons, savez-vous quel sera votre avenir ! Il y a six mois que toutes les prospérités de la terre environnaient mon malheureux ami ; maintenant, jeté dans les prisons, près de périr, il n’a plus qu’une amie qui verse des pleurs sur son sort. Vous êtes le président du tribunal ; vous pouvez, je le sais, s’il est prouvé que M. de Mondoville ne servait pas dans l’armée ennemie, vous pouvez décider qu’il n’y a pas lieu à le juger criminellement, et le faire mettre en liberté. — Vous ne savez pas, madame, interrompit le juge en cessant de se contraindre et laissant voir un caractère qui avait en effet beaucoup de bonté, vous ne savez pas ce que vous me demandez ; vous ignorez à quels périls je m’exposerais si je voulais soustraire M. de Mondoville au cours naturel des lois. Sans doute j’aurais souhaité que la liberté pût s’établir en France sans qu’un seul homme périt pour une opinion politique ; mais, puisque la guerre étrangère excite une fermentation violente, n’exigez pas d’un père de famille qui s’est vu forcé d’accepter dans des temps difficiles un emploi pénible, mais nécessaire, n’exigez pas qu’il compro-