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CONCLUSION.

au supplice dans un temps où le peuple pouvait se permettre des insultes contre l’homme qui lui serait désigné comme son ennemi. — Je crois à la vérité de ce que vous me dites, répondit M. de Serbellane ; si vous vouliez mourir, vous ne me le cacheriez pas ; nous parlerions ensemble de ce dessein avec le courage qui convient à une âme telle que la vôtre, et je vous en détournerais, je l’espère : je vous dirais ce que j’ai éprouvé, c’est qu’on peut encore faire servir au bonheur des autres une vie qui ne nous promet à nous-mêmes que des chagrins, et cette espérance vous la ferait supporter. » Madame d’Albémar répéta avec une sombre tristesse que son dessein, en lui demandant ce funeste présent, était de le donner à Léonce, s’il était condamné. Alors M. de Serbellane tira sa bague de son doigt, et la remit à Delphine. « Voilà donc, s’écria-t-elle, voilà donc, ô Léonce ! ce qui doit nous réunir ! voilà l’anneau nuptial que j’étais destinée à te présenter ! Ô mon Dieu ! ajouta-t-elle, donnez-moi de la force jusqu’au dernier moment. »

Dès qu’ils furent arrivés à Chaumont, M. de Serbellane alla demander la permission de voir M. de Mondoville. Madame d’Albémar, en l’attendant, s’assit sur un banc en face de la prison où elle avait appris que M. de Mondoville était enfermé. La beauté de Delphine, et la douleur qui se peignait dans toute sa personne, avaient attiré l’attention de plusieurs femmes, enfants et vieillards, qui l’environnaient sans qu’elle s’en aperçût ; mais au moment où elle se levait pour aller au-devant de M. de Serbellane, qui lui apportait la permission d’entrer dans la prison, les pauvres gens qui l’avaient vue pleurer lui dirent : « Vous avez du chagrin, bonne dame ? nous prierons Dieu pour vous. — Je vous en remercie, répondit-elle : priez Dieu pour un ami que j’ai dans ce monde, et que l’on veut faire périr. Il y a parmi vous peut-être des créatures bien plus innocentes que moi, Dieu les écoutera plus favorablement. Priez donc pour qu’il me fasse grâce ; et si vous avez sur la terre un être que vous aimiez, que cet être vous récompense du bien que vous m’aurez fait ! » En parlant ainsi, elle attendrit ceux qui l’écoutaient, mais ils ne pouvaient la servir.

M. de Serbellane annonça à Delphine qu’elle pouvait voir Léonce à l’instant, et qu’il lui resterait encore le temps d’entretenir celui qui devait présider le tribunal, avant qu’il s’assemblât pour prononcer sur la vie de Léonce. M. de Serbellane, pendant que Delphine serait dans la prison, devait continuer à voir tous ceux qui, dans la ville, pourraient avoir quelque influence sur le tribunal, et venir reprendre Delphine quand elle33.