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DELPHINE.

blâme portée si loin, qu’il ne lui suffisait pas de son propre témoignage pour être heureux et tranquille ; mais je le devinai plutôt que M. Barton ne me le dit. Il s’abandonnait à louer l’esprit et l’âme de M. de Mondoville avec une conviction tout à fait persuasive ; je me plus presque tout le soir à causer avec lui. Sa simplicité me faisait remarquer dans les grâces un peu recherchées du cercle le plus brillant de Paris une sorte de ridicule qui ne m’avait point encore frappée. On s’habitue à ces grâces, qui s’accordent assez bien avec l’élégance des grandes sociétés ; mais quand un caractère naturel se trouve au milieu d’elles, il fait ressortir, par le contraste, les plus légères nuances d’affectation.

Je causai presque tout le soir avec M. Barton ; il parlait de M. de Mondoville avec tant de chaleur et d’intérêt, que j’étais captivée par le plaisir même que je lui faisais en l’écoutant ; d’ailleurs, un homme simple et vrai parlant du sentiment qui l’a occupé toute sa vie excite toujours l’attention d’une âme capable de l’entendre.

M. de Serbellane et M. de Fierville vinrent cependant auprès de moi me reprocher de n’être pas, selon ma coutume, ce qu’ils appellent brillante : je m’impatientai contre eux de leurs persécutions, et je m’en délivrai en rentrant chez moi de bonne heure. Que la destinée de ma cousine sera belle, ma chère Louise, si Léonce est tel que M. Barton me l’a peint ! Elle ne souffrira pas même du seul défaut qu’il soit possible de lui supposer, et que peut-être on exagère beaucoup. Mathilde ne hasarde rien ; elle ne s’expose jamais au blâme ; elle conviendra donc parfaitement à Léonce : moi, je ne saurais pas… Mais ce n’est pas de moi qu’il s’agit, c’est de Mathilde : elle sera bien plus heureuse que je ne puis jamais l’être. Adieu, ma chère Louise, je vous quitte ; j’éprouve ce soir un sentiment vague de tristesse que le jour dissipera sans doute. Encore une fois, adieu.

LETTRE XII. — DELPHINE À MADEMOISELLE D’ALBÉMAR.
Paris, ce 8 mai.

Je suis mécontente de moi, ma chère Louise, et pour me punir, je me condamne à vous faire le récit d’un mouvement blâmable que j’ai à me reprocher. Il a été si passager, que je pourrais me le nier à moi-même ; mais, pour conserver son cœur dans toute sa pureté, il ne faut pas repousser l’examen de soi ; il faut triompher de la répugnance qu’on éprouve à s’avouer les mau-