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DELPHINE.

ce temps, il donna sa réponse à mon domestique, d’un air calme mais sérieux. Il ne me fit point demander ; il défendit à ses gens d’entrer dans sa chambre le reste de la soirée. Voici cette réponse :

M. DE MONDOVILLE À M. DE LEBENSEI.

Delphine a donné son consentement à votre proposition, je l’accepte ; elle change mon sort, elle change le sien. Nous vivrons, et nous vivrons ensemble ; quel avenir inattendu ! Demain devait être mon dernier jour, il sera le premier d’une existence nouvelle. Delphine enfin sera donc heureuse ! Adieu ! mon ami, je vous dois la vie ; je vous dois bien plus, puisque vous croyez que Delphine ne m’aurait pas survécu : achevez de terminer les arrangements nécessaires à notre départ et à notre établissement ; je me sens incapable de tout, après de si violentes secousses.

Léonce de Mondoville.

Dans les premiers moments j’étais parfaitement content de cette lettre, et je la portai, plein de joie, à Delphine. Elle la lut d’abord vite, une seconde fois lentement ; puis, me la remettant, elle me dit : « Le parti qu’il prend lui coûte cruellement ; examinez quelle est sa première pensée : le consentement que j’ai donné à ce parti ; et plus loin il espère que je serai heureuse ! Dit-il un seul mot de lui ? et cette manière de vous charger de tous les détails n’est-ce pas une preuve qu’ils lui sont tous pénibles ? et bien d’autres nuances encore… Mais il vivra ; l’impression est faite, il vivra. Mon ami, ajouta-t-elle, ne terminez rien, je veux seule conserver la décision de mon sort. J’obtiendrai de madame de Ternan, que ma douleur fatigue et qui redoute le ressentiment de Léonce, la permission d’aller prendre les eaux de Baden, près de Zurich : l’état de ma santé motive cette demande, elle ne me sera point refusée. Je serai seule avec Léonce, nous causerons librement ensemble : et, quoi qu’il arrive, je l’aurai fait du moins renoncer au projet funeste qui menaçait sa vie. »

Voilà, mademoiselle, dans quelle situation se trouvent maintenant les deux personnes du monde qui mériteraient le plus d’être heureuses. J’espère que, pendant le séjour de madame d’Albémar à Baden, ses inquiétudes et les peines de Léonce se dissiperont entièrement : je leur ai donné tous les secours que l’amour peut recevoir de l’amitié ; leur sort maintenant ne dépend plus que d’eux seuls.