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DELPHINE.

firent frissonner, mais elle les entendit sans en conserver le souvenir ; elle posa la tête défaillante de son ami sur son sein, et m’envoya chercher du secours : je revins avec deux tourières du couvent. Tous nos efforts pour rappeler Léonce à la vie furent d’abord vains ; Delphine, dont l’effroi redoublait à chaque instant, pressant Léonce dans ses bras, cherchait à le soutenir, à le ranimer, et lui répétait, avec cet abandon de tendresse qui fait d’une femme un être céleste, un être qui n’exprime et ne respire que l’amour : « Mon ami, mon amant, ange de ma vie ! ouvre les yeux ; n’entends-tu donc plus cette voix d’amour qui t’appelle, cette voix de ta Delphine ? Nous mourrons ensemble ; mais reviens à toi, pour me dire encore une fois que tu m’aimes : ne sens-tu pas mon cœur sur ton cœur, ma main qui presse la tienne ? Je ne sais ce que je suis, je ne sais quels liens m’enchaînent, mais mon âme est restée libre, et je t’adore : l’excès du sentiment que j’éprouve n’aurait-il donc aucune puissance ? La vie qui me dévore, ne puis-je la faire passer dans tes veines ? Léonce, Léonce ! » Il ouvrit les yeux à ces accents, mais il les referma bientôt après, repoussant de sa main Delphine même, comme s’il ne se trouvait bien que dans l’engourdissement de la mort.

Je remarquai l’embarras des religieuses témoins de cette scène, et je résolus de faire transporter Léonce dans une maison voisine du couvent, où l’on pourrait le secourir. Delphine ne s’opposa point aux ordres que je donnai ; et, quand on emporta l’infortuné Léonce sans qu’il eût repris ses sens, elle se mit à genoux sur le seuil de la porte, le suivit de ses regards tant qu’elle put l’apercevoir, et, baissant ensuite son voile, elle se releva et rentra dans son couvent.

Depuis ce moment, je n’ai pas quitté Léonce ; il n’a pas cessé d’être en délire : cependant les médecins me donnent l’espoir de sa guérison. Je vous manderai dans peu de jours, mademoiselle, ce que je veux tenter pour nos malheureux amis ; il faut que je recueille mes pensées pour l’importante résolution que je dois leur proposer ; en attendant, je leur prodiguerai tous les soins qui peuvent conserver leur vie. Ne vous affligez pas trop d’être loin d’eux ; daignez croire que mon amitié ne négligera rien pour les secourir.