Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/565

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
538
DELPHINE.

dence, l’entraînement, les sentiments irréfléchis et passionnés. Je n’ai pas su guider ma vie, et j’ai précipité les autres avec moi. — Je vous en conjure, lui dis-je, ne considérez pas les malheurs que vous éprouvez comme le résultat de vos erreurs et de vos fautes. Les résolutions que vous avez prises appartenaient à des sentiments tout à fait involontaires. Il y a de la fatalité en nous comme hors de nous, et il ne faut pas plus se révolter contre soi que contre les autres. — Ah ! reprit Delphine, tout pouvait encore se supporter ; mais la mort ! l’irréparable mort ! »

J’essayai de lui parler du soin que M. de Valorbe avait pris de la justifier dans l’esprit de Léonce. « Le malheureux ! s’écria-t-elle, c’est un trait de bonté qui doit l’absoudre de tout, il m’a justifiée ! Voilà donc, dit-elle en s’arrêtant subitement comme si une pensée tout à fait imprévue se fût emparée d’elle, voilà déjà la moitié de la prédiction de ma sœur qui s’est accomplie ! Ne m’a-t-elle pas dit que la vérité serait connue sur mon voyage à Zell ? Elle le sera. Ne m’a-t-elle pas dit aussi que peut-être un jour Léonce serait libre ? Oh ! d’où vient que cette idée, la plus invraisemblable de toutes, m’est revenue dans cet instant ? C’est parce que mon sort est maintenant irrévocable, que je crois aux événements qui me paraissaient impossibles il y a quelque temps : funeste imagination ! s’écria-t-elle ; ah ! Dieu ! » Et elle resta plongée dans le plus profond silence.

Madame d’Albémar n’est pas encore en état de vous écrire, mademoiselle ; elle m’a demandé de m’en charger ; c’est toujours à vous qu’elle pense au milieu de ses plus grandes peines. Ah ! mademoiselle, venez, venez ici. Votre présence est le seul bien qui puisse consoler cette jeune infortunée, privée de tout autre espoir pour le cours de sa longue vie.

LETTRE XXXII. — MADAME DE LEBENSEI À MADEMOISELLE
D’ALBÉMAR.
Paris, ce 30 juin 1792.

Madame de Mondoville est tombée tout à coup très-malade, mademoiselle ; elle s’obstine à vouloir nourrir son enfant dans cet état, et si l’on n’obtient pas d’elle d’y renoncer, sa mort est certaine. Je vous donnerai de ses nouvelles exactement ; mon