de la fausseté qu’elle y était parvenue ; il faut rendre à madame de Ternan la justice qu’elle a beaucoup de vérité dans le caractère, mais tant d’humeur et de personnalité, qu’il faut ou se brouiller avec elle, ou céder à ses volontés. Combien, dans la plupart des associations de la vie, n’y a-t-il pas d’exemples de l’empire de l’humeur et de l’exigence sur la douceur et la raison ! Dès qu’un lien est formé de manière qu’on ne puisse plus le rompre sans de graves inconvénients, c’est le plus personnel des deux qui dispose de l’autre.
Je me croyais sûre cependant que nous avions encore plusieurs mois devant nous ; je comptais sur votre arrivée, que vous aviez annoncée ; je me flattais que pendant ce temps il surviendrait des incidents qui délivreraient madame d’Albémar sans la compromettre. Lorsqu’il y a trois jours, je vins la voir à son couvent, je la trouvai beaucoup plus triste qu’elle ne l’avait été jusqu’alors. Interrogée par moi, elle me dit que madame de Ternan avait obtenu à Rome des dispenses de noviciat, et qu’elle voulait l’obliger à prononcer ses vœux dans trois jours. Indignée de cette résolution, j’en demandai les motifs. « Elle ne me les a pas fait connaître, répondit madame d’Albémar ; elle s’est retranchée dans la phrase ordinaire dont elle se sert quand elle a de l’humeur contre moi ; elle m’a dit que si je ne voulais pas suivre ses conseils, elle rendrait publique la lettre du commandant de Zell, et se conformerait à la délibération des sœurs qui, en conséquence de cette lettre, avaient décidé qu’elles ne me garderaient pas dans leur couvent. J’ai cependant persisté dans mon refus d’abréger mon noviciat, continua Delphine ; mais cette affreuse menace me remplit de terreur. » J’essayai alors de rassurer madame d’Albémar, et je me déterminai à parler à madame de Ternan, malgré l’éloignement qu’elle m’inspire : je lui fis demander de la voir ; elle me fit dire capricieusement de revenir le lendemain.
En arrivant, je lui expliquai l’objet de ma visite ; elle me dit, avec une franchise d’égoïsme tout à fait originale, qu’elle avait des raisons de craindre que, si le noviciat de Delphine durait un an, les circonstances ou ses amis ne la fissent renoncer au projet de se faire religieuse, et qu’elle ne voulait pas s’exposer à perdre la société d’une personne qui lui plaisait extrêmement. Je voulus lui parler alors du plaisir d’être généreuse envers ses amis, de se sacrifier pour eux : elle me répondit honnêtement, mais comme s’il fallait de la politesse pour ne pas se moquer de ce qu’elle appelait ma mauvaise tête ; et non-seulement elle n’était pas ébranlée par tout ce que je pou-