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DELPHINE.

rompre, car vous serez tentée d’abord de me combattre, et vous finirez cependant par être de mon avis.

Madame de Ternan m’a dit qu’il n’existait qu’un moyen de rester dans le couvent où je suis, c’était de m’y faire religieuse ; à cette condition les sœurs consentent à me garder ; le crédit de madame de Ternan fera disparaître toutes les traces de l’événement de Zell. En prononçant les vœux de religieuse, je m’assure d’un repos que rien ne pourra troubler ; j’y ai consenti, je prends l’habit de novice après-demain. Ne frémissez pas, jugez-moi : voulez-vous que je sorte de cette maison comme une femme perdue ? que Léonce apprenne que c’est pour M. de Valorbe que je suis bannie de l’asile que madame de Ternan m’avait donné ? que je me trouve aux prises de nouveau avec l’opinion, avec le monde, avec tout ce que j’ai souffert ? Le nom de M. de Valorbe une seconde fois répété avec le mien ne s’oubliera plus, et Léonce saura que ma réputation est détruite sans retour ; je resterai libre, mais j’aurai perdu tout le prix de moi-même, et je finirai par m’enfermer dans la retraite, sans avoir, comme à présent, la douce certitude que je suis restée pure dans le souvenir de Léonce, et que ses regrets me sont encore consacrés.

Si madame de Ternan avait voulu me rendre les mêmes services sans exiger de moi un grand sacrifice, je l’aurais préféré, car ni mon cœur ni ma raison ne m’appellent à l’état que je vais embrasser ; mais elle n’avait aucun motif pour s’intéresser à moi, si je ne cédais pas à sa volonté ; elle pouvait m’objecter toujours la résolution de ses compagnes. Je savais bien que cette résolution venait d’elle, mais c’était une raison de plus pour croire qu’elle ne chercherait pas à la faire changer ; je n’avais que le choix du parti que j’ai pris, ou de trouver en sortant de cette maison tous les cœurs fermés pour moi, tous, ou du moins un seul ; n’était-ce pas tout ? pouvais-je y survivre ? Je n’ai pas su mourir, voilà tout ce que signifie la résolution, en apparence courageuse, que je viens d’adopter. Il ne me restait pas d’alternative ; vous-même, répondez, que m’auriez-vous conseillé ? »

Je ne sus que pleurer : que pouvais-je lui dire ? elle avait raison. L’infâme M. de Valorbe ! quels mouvements de haine je sentais contre lui ! mon émotion était extrême, mais je me taisais. « Ne vous affligez pas trop pour moi, » reprit Delphine avec bonté ; car dans ses plus grandes peines, vous le savez, elle s’occupe encore des impressions des autres : « Qu’est-ce donc que je sacrifie ? une liberté dont je ne puis faire aucun