pas réfléchi que votre réputation ne se relèvera pas de votre imprudente démarche ; vous êtes ici seule, chez un jeune homme ; vous y passez tout le jour. On vous attend à votre couvent, et vous n’y retournerez pas ; tout le monde saura que nous sommes restés enfermés ensemble, que c’est vous qui êtes venue me chercher ; en voilà plus qu’il n’en faut pour vous perdre dans l’opinion, si vous ne m’épousez pas : et si c’en est assez aux yeux de tous, que n’est-ce pas pour votre amant, pour Léonce, le plus irritable, le plus ombrageux, le plus susceptible des hommes ! » À ces mots, Delphine se renversa sur sa chaise en s’écriant : « Malheureuse que je suis ! » avec un accent si déchirant, que M. de Valorbe en frémit, et pendant quelques instants il assure qu’il eut horreur de lui même ; mais il s’était juré d’avance de résister à l’attendrissement qu’il pourrait éprouver ; il mettait de l’orgueil à lutter contre ses bons mouvements.
Delphine tout à coup s’avança vers lui, et lui dit : « Si je suis ici, c’est pour en avoir cru mon désir de vous rendre service : je n’ai point réfléchi sur les dangers que je pouvais courir, il ne m’est pas venu dans la pensée qu’ils fussent possibles. Si vous me perdez, c’est l’amitié que j’avais pour vous que vous punissez ; si vous me perdez, c’est ma confiance en vous dont vous démontrez la folie : arrêtez-vous au moment d’être coupable ! Me voici devant vous, sans appui, sans défenseur ; je n’ai d’espoir qu’en faisant naître la pitié dans votre cœur, et jamais je n’en eus moins les moyens : je me sens glacée de terreur ; l’étonnement que j’éprouve surpasse mon indignation ; je ne puis me persuader ce que j’entends ; je ne puis imaginer que ce soit vous, bien vous qui me parlez ; vous me découvrez des abîmes du cœur humain qui passaient ma croyance, et vous me consolez presque de la mort à laquelle vous me condamnez, en m’apprenant qu’il existait sur la terre tant de dépravation et de barbarie ! — Ah ! s’écria M. de Valorbe, il fut un temps où je vous aurais tout sacrifié, même le bonheur auquel j’aspire ! Mais vous ne savez pas quel sentiment intérieur me dévore ; tout me dit que je dois me tuer, le ciel et les hommes me le demandent, et tout me dit aussi que si vous m’aimiez je vivrais. Mon amour pour vous affaiblit mon âme ; mais toute sa fureur lui revient quand vous me repoussez dans le tombeau, vous qui seule pouvez m’en sauver. Dites-moi, pourquoi voulez-vous qu’à trente ans je cesse de vivre ? Cette arme que vous voyez-là, savez-vous qu’il est affreux de la placer sur son cœur pour en chasser votre image ? Le sang, le froid, les convulsions de l’a-