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CINQUIÈME PARTIE.

commandé lui-même cette démarche, et que, connaissant la bonté de Delphine, et l’imprévoyante vivacité de ses mouvements généreux, il avait calculé le parti qu’il pouvait tirer d’un imprudent témoignage d’inquiétude et de pitié.

Madame d’Albémar m’écrivit en partant pour Zell ; j’éprouvai, lorsque je reçus sa lettre, une vive inquiétude : je condamnai sa résolution, je redoutai le blâme qu’elle pouvait attirer sur elle ; et, comme vous allez le savoir, cette crainte que je ressentais vague alors, devint bientôt la plus cruelle des anxiétés.

Delphine partit à six heures du matin, sans avoir vu madame de Ternan ; elle arriva à Zell à dix heures, accompagnée seulement d’un cocher et d’un domestique suisses, qui ne la connaissaient pas. Madame de Ternan avait exigé, en prenant madame d’Albémar en pension dans son couvent, qu’elle renvoyât son valet de chambre à Zurich, et Delphine ne quitte jamais Isaure sans laisser auprès d’elle sa femme de chambre pour la soigner. Arrivée à Zell, madame d’Albémar s’aperçut qu’elle n’avait point de passeport : on lui demanda son nom à la porte, elle en donna un au hasard, se promettant de repartir dans peu d’heures, avant que l’officier autrichien qui commandait la place eùt le temps de s’informer d’elle.

Elle descendit chez le négociant que l’homme de M. de Valorbe lui avait indiqué comme sachant seul tout ce qui avait rapport à ses affaires. Le négociant dit à Delphine que, par commisération pour l’état de santé de M de Valorbe, on avait, la veille, obtenu de ses créanciers sa sortie de prison, à condition qu’il serait gardé chez lui. Madame d’Albémar voulut s’informer de ce que devait M. de Valorbe, pour offrir son cautionnement et repartir sans le voir. Le négociant lui dit que M. de Valorbe lui avait expressément défendu de rien accepter de personne, et en particulier d’une femme qui devait être elle, d’après le portrait qu’il lui en avait fait. Alors madame d’Albémar pria le négociant de la conduire chez M. de Valorbe. Il la mena jusqu’à sa porte ; mais quand elle y fut arrivée, il la quitta brusquement, en indiquant assez légèrement qu’elle arrangerait mieux ses affaires sans lui. Madame d’Albémar m’a dit que, se trouvant seule dans ce moment au bas de l’escalier de M. de Valorbe, elle éprouva un effroi dont elle ne peut s’expliquer la cause ; elle voulait retourner sur ses pas, mais elle ne savait quelle route suivre dans une ville inconnue et dont elle ignorait la langue.

Comme elle délibérait sur ce qu’elle devait faire, elle aperçut