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DELPHINE.

Lorsque je reconnus votre écriture, je déchirai promptement l’enveloppe pour que Léonce n’en vit pas le timbre : il croit que vous êtes en Suisse, mais il n’a pas la moindre idée du lieu même où vous demeurez. Je lus d’abord ce qui était pour Léonce, et, dans mon impatience de le lui porter, je ne vis point ce que vous m’écriviez ; je rentrai, tenant à la main votre lettre ; je m’écriai : « Lisez, vous serez content. — Je serai content ! s’écria-t-il ; ah Dieu ! » Et loin de saisir ce que je lui offrais, il répandait des pleurs en répétant toujours : Je serai content, avec une voix, avec un accent que je ne pourrai jamais oublier. Enfin, il prit votre lettre ; et, après l’avoir lue plusieurs fois, il me regarda d’un air plein de douceur, me serra la main et sortit. Il revint deux heures après, et m’annonça qu’il allait retourner auprès de Mathilde ; il ne me demanda rien, ne me fit plus aucune question ; seulement il me dit ; « Soignez son bonheur, vous à qui le sort permet de vivre pour elle. »

Quand il fut parti, je me croyais soulagée, et c’est alors que j’ai lu les lignes pleines de trouble et de douleur que vous m’adressiez : je ne savais que devenir, je voulais vous rejoindre, le misérable état de ma santé m’en ôte la force. Se peut-il que vous m’ayez laissée dans un doute si cruel ? ne recevrai-je aucune lettre de vous, avant que vous ne répondiez a celle-ci ?

LETTRE XXV. — MADAME DE CERLEBE À MADEMOISELLE D’ALBÉMAR.
Zurich, ce 12 avril.

Madame d’Albémar, mademoiselle, n’est pas en état de vous écrire ; elle me condamne à la douloureuse tâche de vous apprendre sa situation : elle est horrible, elle est sans espoir, et mon amitié n’a pas su prévenir un malheur que la générosité de madame d’Albémar devait peut-être me faire craindre. Elle m’a raconté la scène la plus funeste par ses irréparables suites, et le coupable M. de Valorbe, dans une lettre pleine de délire, de regrets et d’amour, m’a confirmé tout ce que Delphine m’avait appris. Il m’est imposé de vous en instruire, mademoiselle ; votre amie veut que vous connaissiez les motifs du parti désespéré qu’elle a pris : ah ! qui me donnera le moyen d’en adoucir pour vous l’amertume !

M. de Valorbe avait été mis en prison pour dettes à Zell, ville d’Allemagne, occupée maintenant par les Autrichiens ; son valet de chambre de confiance informa madame d’Albémar de sa situation. Il n’est que trop certain que M. de Valorbe avait