malheureux cœur : maintenant, qu’il ne s’informe plus de ma destinée, et qu’il retourne auprès de Mathilde.
Ma chère amie, il est parti plus calme ; je ne lui ai point fait partager mes cruelles inquiétudes : que signifie ce que vous m’écrivez ? d’où vient votre profonde douleur ? que vous est-il arrivé ? je ne puis rien deviner, mais vos paroles mystérieuses me glacent d’effroi.
Dans quelque situation que vous soyez, vous avez besoin que je vous parle de Léonce ; je reviens aux derniers moments que j’ai passés avec lui. Je l’avais prévenu du jour où je pouvais recevoir votre lettre ; le matin de ce jour, je savais que, depuis cinq heures, il s’était promené sur la route par laquelle le courrier devait venir, sans pouvoir rester en repos une seconde, marchant à pas précipités, revenant après avoir avancé, tournant la tête à chaque pas, et dans un état d’agitation si remarquable, que plusieurs personnes s’étaient arrêtées dans le chemin, frappées de l’égarement et du trouble extraordinaire qu’exprimait son visage ; enfin, à dix heures du matin, il entra chez moi, pâle et tremblant, et me dit, en se jetant sur une chaise près de la fenêtre, que le courrier était arrivé, et que je pouvais envoyer mon domestique chercher mes lettres. J’en donnai l’ordre, et je revins près de lui.
Il se passa près d’une heure dans l’attente ; je parlai plusieurs fois à Léonce, il ne me répondit point ; mais je vis qu’il tâchait de prendre beaucoup sur lui, et qu’il rassemblait toutes ses forces pour ne point se livrer à son émotion. La violence qu’il se faisait l’agitait cruellement ; je ne sais à quel signe j’apercevais ce qu’il éprouvait au fond du cœur ; mais, à la fin de cette heure passée dans le silence, j’étais abîmée de douleur, comme après la scène la plus violente dont l’intérêt et l’émotion auraient toujours été en croissant. Il distingua le premier le bruit de la porte de ma maison qui s’ouvrit, et me dit d’une voix à peine intelligible : « Voilà votre domestique qui revient. » Je me levai pour aller au-devant de lui ; Léonce ne me suivait pas, il cachait sa tête dans ses mains. Il m’a dit depuis que, dans cet instant, il aurait souhaité qu’il n’y eût point de lettre ; il désirait l’incertitude autant qu’il l’avait jusqu’alors redoutée.