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DELPHINE.

Mais que me diriez-vous, cependant ? Au nom du ciel ! répondez-moi… je n’attendrai point votre réponse.

LETTRE XXII. — MADEMOISELLE D’ALBÉMAR À DELPHINE.
Montpellier, ce 20 mars.

Il faut donc, ma chère Delphine, que votre vie soit sans cesse troublée ; et c’est moi qui suis condamnée à ranimer dans votre cœur les sentiments et les inquiétudes que la solitude avait adoucis. C’est en vain que je désirais vous cacher tout ce que je savais de l’agitation et du malheur de Léonce ; je suis forcée de vous apprendre ce que son désespoir lui a inspiré : il est ici, et dans quelles circonstances, hélas ! et pour quel but !

Hier, j’étais seule, occupée de votre dernières lettres, cherchant par quel moyen je pourrais vous aider à sortir de la cruelle perplexité où vous jetait l’amour de M. de Valorbe, lorsque je vis Léonce entrer dans ma chambre et s’avancer vers moi. Hélas ! qu’il est changé ! ses yeux n’ont plus rien que de sombre ; sa marche est lente et comme abattue sous le poids de ses pensées. Il vint à moi, me prit la main, et je sentis à l’instant même mes yeux remplis de larmes. « Vous me plaignez, me dit-il ; elle ne m’a pas plaint, celle qui m’a quitté ; mais ce n’est pas tout encore : s’il était possible, s’il était vrai que M. de Valorbe… alors il n’y aurait plus sur la terre que perfidie et confusion. Savez-vous que M. de Valorbe est parti de France eu publiant qu’il allait rejoindre Delphine ? Savez-vous qu’on assure qu’il est près d’elle, qu’il sait le lieu de sa retraite, qu’il l’a vue ? Je ne le crois pas ; j’ai perdu ma vie pour un soupçon injuste, je les repousse tous loin de moi. Peut-être M. de Valorbe erre-t-il autour de la demeure de Delphine, et cherche-t-il ainsi à la compromettre dans le monde ? Peut-être espère-t-il la forcer à se donner à lui, en renouvelant les bruits déjà si cruellement répandus de leur attachement réciproque ? Vous sentez que je ne puis vivre dans la situation d’âme où je suis ; daignez donc me répondre, mademoiselle : que savez-vous de Delphine, de l’homme qui ose mettre son nom à côté du sien ? Parlez, de grâce, parlez.

— Je suis certaine, lui dis-je, que Delphine abhorre l’idée d’épouser M. de Valorbe. — Il en est donc question ! s’écria-t-il avec violence : je ne le pensais pas, vous m’en apprenez plus que je n’en voulais croire. Sait-il où elle est ? l’a-t-il vue, l’a-t-il