Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/533

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
506
DELPHINE.

senti à ménager madame d’Albémar ; mais elle m’a donné le terrible droit de la haïr. Si tu savais ce qu’elle a écrit à madame de Cerlebe ! quel amour pour Léonce ! quel mépris pour moi ! Elle se flatte de se délivrer ainsi de mes poursuites, elle se trompe ; c’est à présent surtout qu’elle doit me redouter. Ne me parle plus des égards qu’elle mérite ; je punirai son ingratitude, je soumettrai son orgueil. Tant d’insultes ont soulevé mon âme ! tout mon amour se change en indignation ! Il faut que madame d’Albémar tombe en ma puissance ! par quelques moyens que ce soit, il le faut ! Adieu, Montalte, je serai maître d’elle ou je n’existerai plus !

LETTRE XX. — DELPHINE À MADAME DE CERLEBE.
De l’abbaye du Paradis, ce 11 mars.

Enfin, madame, il se présente une occasion de soulager mon cœur, en donnant à M. de Valorbe une véritable preuve de mon intérêt. J’apprends à l’instant par un homme à lui qu’il est arrêté pour dettes à Zell, et qu’on l’a jeté dans une prison qui compromet sa vie, en le privant des secours nécessaires à son état de santé. Je pars, afin d’offrir ma garantie à ceux qui le poursuivent, et de souscrire à tous les arrangements qui pourront le délivrer.

J’ai craint de m’exposer à l’humeur de madame de Ternan en lui demandant la permission d’aller à Zell ; c’est une personne si exigeante et si despotique, qu’il faut esquiver son caractère quand on ne veut pas se brouiller avec elle. Comme elle était un peu malade hier, elle dort encore et je laisse un billet qui lui apprendra, à son réveil, que je serai absente seulement pour quelques heures. Zell n’étant qu’à trois lieues d’ici, je suis sûre d’être revenue ce soir, avant que le couvent soit fermé.

Je vous avouerai qu’il m’est très-doux de trouver un moyen de montrer un grand empressement à M. de Valorbe. J’aurais pu me contenter de chercher quelqu’un qu’on pût envoyer à Zell, mais c’était perdre nécessairement deux ou trois jours ; ce retard pouvait être funeste à la santé de M. de Valorbe, et peut-être aussi refuserait-il le service que je veux lui rendre, si je ne l’en sollicitais pas moi-même.

Je sais bien que la démarche que je fais ne serait pas jugée convenable, si elle était connue ; mais ma conscience me dit