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CINQUIÈME PARTIE.

l’agrandir ; il n’y a que la vérité qui n’ait point de bornes. Notre âme n’a pas besoin de superstition pour recevoir une impression religieuse et profonde ; le ciel et la vertu, l’amour et la mort, le bonheur et la souffrance, en disent assez à l’homme et nul n’épuisera jamais tout ce que ces idées sans terme peuvent inspirer.

J’entendis, en arrivant à l’église, les chants des enfants qui célébraient le premier acte de fraternité, la première promesse de vertu, que d’autres enfants comme eux allaient faire en entrant dans le monde ; ces voix si pures remplirent mon âme du sentiment le plus doux. Quelle heureuse époque de la vie, que celle qui précède tous les remords ! les années se marquent par les fautes ; si l’âme restait innocente, le temps passerait sur nous sans nous courber. C’était la fille de madame de Cerlebe qui devait communier pour la première fois ; vingt jeunes filles étaient admises, en même temps qu’elle, à cette auguste cérémonie ; elles étaient toutes couvertes d’un voile blanc ; on ne voyait point leurs jolis visages, mais on entendait leurs douces larmes ; elles quittaient l’enfance pour la jeunesse, elles devenaient responsables d’elles-mêmes, tandis que, jusqu’alors, leurs parents pouvaient encore tout pardonner et tout absoudre. Elles soulevèrent leur voile en approchant de la table sainte ; madame de Cerlebe alors me montra sa jeune fille ; ses yeux attachés sur elle réfléchissaient pour ainsi dire, la beauté de cette enfant, et l’expression de ses regards maternels indiquait aux étrangers les grâces et les charmes qu’elle se plaisait à considérer.

Son fils, âgé de cinq ans, était assis à ses pieds ; il regardait sa mère et sa sœur, étonné de leur attendrissement, n’en comprenant point encore la cause, mais cherchant à donner à sa petite mine une expression de sérieux, puisque tous ses amis pleuraient autour de lui.

J’étais déjà vivement intéressée, lorsque le père de madame de Cerlebe arriva. Il vint s’asseoir à côte d’elle ; tout le monde s’était levé pour le laisser passer. C’est un homme très-considéré dans son pays, pour les services éminents qu’il a rendus : ses talents et ses vertus sont généralement admirés. En le voyant, l’expression de sa physionomie me frappa : c’est le premier homme d’un âge avancé qui m’ait paru conserver dans le regard toute la vivacité, toute la délicatesse des sentiments les plus tendres ; j’aurais voulu que cet homme me parlât, j’aurais cru sa mission divine, et je l’aurais choisi pour mon guide. Je ne pus, pendant le temps que dura la cérémonie, détacher mes