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CINQUIÈME PARTIE.

sur ma figure ; on commença même à me parler avec ménagement des femmes jeunes et belles, et à ramener devant moi la conversation sur des sujets d’un genre plus grave : je sentis que tout était dit ; les autres étaient enfin arrivés à découvrir ce que je prévoyais ; il ne fallait plus lutter, et j’étais trop fière pour m’attacher à quelques faibles succès que des efforts soutenus pouvaient encore faire naître.

Je n’étais cependant alors qu’à la moitié de la carrière que la nature nous destine, et je ne voyais plus un avenir, ni une espérance, ni un but qui pût me concerner moi-même. Un homme, à l’âge que j’avais alors, aurait pu commencer une carrière nouvelle ; jusqu’à la dernière année de la plus longue vie, un homme peut espérer une occasion de gloire ; et la gloire, c’est, comme l’amour, une illusion délicieuse, un bonheur qui ne se compose pas, comme tous ceux que la simple raison nous offre, de sacrifices et d’efforts. Mais les femmes, grand Dieu ! les femmes ! que leur destinée est triste ! à la moitié de leur vie, il ne leur reste plus que des jours insipides, pâlissant d’année en année ; des jours aussi monotones que la vie matérielle, aussi douloureux que l’existence morale.

Et vos enfants, me dira-t-on, vos enfants ! La nature, prodigue envers la jeunesse, nous a réservé les plus doux plaisirs de la maternité pour l’époque de la vie qui permet encore les plus heureuses jouissances de l’amour ; nous sommes le premier objet de l’affection de nos enfants, à l’âge où nous pouvons l’être encore de l’époux, de l’amant qui nous préfère ; mais quand notre jeunesse finit, celle de nos enfants commence, et tout l’attrait de l’existence nous les enlève au moment même où nous aurions le plus besoin de nous reposer sur leurs sentiments.

J’essayai de revenir à mon mari, il était bien pour moi ; mais quand je voulais lui redemander ces soins, cet intérêt suivi, cet amour enfin que je lui inspirais vingt ans plus tôt, il ne me le refusait pas, mais il en avait aussi complètement perdu le souvenir que des jeux les plus frivoles de son enfance. Cependant, quel plaisir peut-on trouver dans la société d’un homme à qui vous n’êtes pas essentiellement nécessaire, qui pourrait vivre sans vous comme avec vous, et prend à votre existence un intérêt plus faible que celui que vous y prenez vous-même ?

Quand les autres ne s’occupent plus naturellement de vous, on est assez tentée de devenir exigeante, et de reprendre, par ses défauts, une sorte d’empire qu’on ne peut plus espérer de