écrit pour soi ; mais il y en a assez pour satisfaire votre curiosité et pour vous prouver ma confiance.
Je vous envoie, ma sœur, ce que madame de Ternan m’a remis : il y règne une impression de tristesse qui d’abord pourrait toucher ; mais, en y réfléchissant, on trouve dans cette tristesse bien plus d’amour-propre que de sensibilité. Vous me direz l’impression que ce singulier écrit aura produite sur vous.
religieuse.
J’ai été fort belle, et j’ai cinquante ans : de ces deux événements fort ordinaires naissent toutes les impressions que j’ai éprouvées. Je ne sais pas si j’ai eu moins de raison qu’une autre ou seulement un esprit plus observateur, plus pénétrant, et qui n’était pas susceptible de se conserver à lui-même des illusions ; ce que je sais, c’est qu’en perdant ma jeunesse, je n’ai rien trouvé dans le monde qui pût remplir ma vie, et que je me suis sentie forcée à le quitter, parce que tous les liens qui m’y attachaient se sont relâchés comme d’eux-mêmes, jusqu’à ce qu’il ne m’en soit plus resté un seul que je pusse véritablement regretter.
J’avais de l’esprit, j’en ai peut-être encore ; mais on en peut difficilement juger, car cet esprit se développait singulièrement par ma confiance dans ma figure ; j’avais de l’imagination et beaucoup de gaieté ; je contais d’une manière piquante ; j’avais de l’humeur avec grâce ; et, sûre de l’attrait que tout le monde, en me voyant, ressentait pour moi, j’éprouvais un désir animé de, plaire et une douce certitude d’y réussir ; cette certitude m’inspirait une foule d’idées et d’expressions que je n’ai jamais pu retrouver depuis.
J’avais épousé un homme bon et raisonnable qui m’aimait à la folie ; je lui fus fidèle, plus encore, je l’avouerai, par fierté que par vertu ; je voulais être soignée, suivie, adorée, et je ne voulais pas accorder à un seul homme la préférence qui était l’objet de l’ambition de tous. Je n’eus donc pas de torts envers mon mari, mais je fus peu occupée de lui, et par degrés il prit habitude de s’intéresser vivement aux affaires, et de se distraire des sentiments qui l’avaient absorbé pendant quelques années. J’eus deux enfants, un fils et une fille : je les ai rendus fort heureux dans leur enfance ; j’ai soigné leurs plaisirs,