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DELPHINE.

s’est montré tout à coup en elle, quand sa beauté n’a plus attiré les hommages : elle n’est dans la réalité ni très-sévère, ni très-religieuse ; mais elle a pris de tout cela ce qu’il faut pour avoir le droit de commander aux autres. L’amour-propre lui a fait quitter le monde, l’amour-propre est son seul guide encore dans la solitude. Elle conserve une sorte de grâce, reste de sa beauté, souvenir d’avoir été aimée, qui vous fera peut-être illusion sur son véritable caractère ; mais si quelque circonstance vous mettait jamais dans sa dépendance, vous verriez si je vous ai trompée, et vous vous repentiriez de ne m’avoir pas crue. »

Ces observations, et plusieurs autres encore que madame de Cerlebe me présentait avec beaucoup d’esprit et de chaleur, m’auraient peut-être fait impression, si madame de Ternan n’eût pas été la tante de Léonce ; mais quels défauts pourraient l’emporter sur ce regard, sur ce son de voix qui me le rappellent ! J’ai persisté dans mon dessein, et je suis établie ici depuis, hier.

Pauvre M. de Valorbe ! que je voudrais diminuer son malheur ! pourrais-je sans l’offenser lui offrir la moitié de ma fortune ? Enfin, ma chère Louise, que votre cœur imagine ce qui pourrait adoucir sa situation ! mais je ne puis me résoudre à le voir ; les témoignages de son amour me seraient trop pénibles loin de Léonce. Je ne sais par quelle bizarrerie cruelle on craint toujours d’être plus aimée par l’homme qu’on n’aime pas que par celui qu’on préfère ; il vaut mieux n’entendre aucune expression de tendresse, et que tout se taise quand Léonce ne parle pas.

LETTRE IX. — MADAME DE MONDOVILLE, MÈRE DE LÉONCE,
A MADAME DE TERNAN, SA SŒUR.
Madrid, ce 17 janvier 1792.

Vous m’apprenez, ma chère sœur, que madame d’Albémar est près de vous ; mon fils ne le sait pas, gardez bien ce secret. Léonce a toujours la tête tournée d’elle ; et, dans un moment où les indignes lois françaises vont permettre le divorce, j’éprouve une crainte mortelle qu’il ne se déshonore en abandonnant Mathilde pour cette Delphine, dont la séduction est, à ce qu’il parait, véritablement redoutable. Ne pourriez-vous pas prendre assez d’empire sur son esprit pour l’engager à se ma-