Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/489

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
462
DELPHINE.

supporter la vie ! Je veux l’attendrir profondément par mon malheur, et qu’il lui soit impossible d’oublier celle qui souffrira toujours. Les années, qui refroidissent l’amour, laissent subsister la pitié ; et dût-il me revoir encore quand le temps aura flétri mon visage, le voile noir dont il sera couvert, les images sombres qui m’environnent, m’offriront à ses yeux comme l’ombre de moi-même, et non comme un objet moins digne d’être aimé.

Thérèse, est-ce avec de telles pensées qu’il faut entrer dans votre sanctuaire ? Je n’ai pas vos opinions, mais je les respecte assez pour répugner à les braver, pour craindre surtout de tromper ceux qui croient, en ayant l’air d’adopter des sentiments que je ne partage pas. Mais si M. de Valorbe me poursuivait, si je craignais qu’il n’excitât encore la jalousie de Léonce, ou qu’il ne voulût menacer sa vie, je ne sais quel parti je prendrais ; ma raison n’a bientôt plus aucune force, j’ai peur d’un nouveau malheur ; je crains son impression sur moi : la folie, les vœux irrévocables, la mort, tout est possible à l’état où je suis quelquefois, à l’état plus cruel encore où les peines qui me menacent pourraient me jeter.

J’espérais trouver à Lausanne des lettres de ma sœur ; je lui avais dit de m’oublier, mais devrait-elle m’en croire ? Ah ! qu’il est facile de disparaître du monde, et de mourir pour tout ce qui nous aimait ! Quels sont les liens qu’on ne parvient pas à déchirer ? quels sont ceux qu’un effort de plus ne briserait pas ? Ma sœur ne savait-elle pas que je n’espérais que d’elle quelques mots sur Léonce ? Hélas ! veut-elle me cacher que mon départ l’a détaché de moi ? Quelle cruelle manière de ménager, que le silence ! Abandonner le malheureux à son imagination, est-ce donc avoir pitié de lui ?

LETTRE II. — MADEMOISELLE D’ALBÉMAR À DELPHINE.
Montpellier, ce 17 décembre.

Je n’ai pas cru devoir vous cacher cette lettre ; il ne faut rien dissimuler à une âme telle que la vôtre, il ne faut pas lui surprendre un sacrifice dont elle ignorerait l’étendue.

MADAME DE LEBENSEI À MADEMOISELLE D’ALBÉMAR.

Hélas ! que me demandez-vous, mademoiselle ! vous voulez que je vous entretienne de l’état de Léonce ; je ne l’ai pas vu