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QUATRIÈME PARTIE.

pendant un jour à leurs amis, ont été bien aises de faire tourner à mal les qualités qu’ils ne possédaient pas, espérant ainsi les discréditer dans le monde : mais dans toutes les accusations qu’on a essayées contre vous, qu’y a-t-il de vrai que vos vertus, votre délicatesse, la pureté de votre âme et de vos sentiments ? soyez donc sûre que dans peu votre réputation sera justifiée. Les livres vous entretiennent souvent des succès de la calomnie ; moi, qui ai tant à redouter les reproches que je puis mériter, je crains peu, je l’avoue, l’ascendant du mensonge, du moins à la longue. Si la bonté n’émoussait pas les armes de votre esprit, tandis que la méchanceté aiguise celle des autres, rien ne vous serait plus facile que de faire connaître votre innocence : vous semblez née pour vaincre ; tous les moyens de persuasion vous sont donnés, et vous n’emploieriez aucun de ces moyens, qu’en peu d’années, peut-être même en peu de mois, les faits se développeraient d’eux-mêmes, par cette multitude de rapports naturels qui révèlent la vérité, malgré tous les obstacles que l’on peut y opposer.

Il faut agir, et agir sans cesse, pour établir ce qui est faux, tandis que l’inaction et le temps découvrent toujours ce qui est vrai : ce temps est votre appui le plus sûr ; mais, loin de m’être favorable, il confirme chaque jour davantage le blâme, que désarmait un peu l’intérêt inspiré par ma première jeunesse. J’approche de trente ans, de cette époque où la considération commence à devenir nécessaire, et je la vois reculer devant moi ; souvent, avec le cœur le plus affligé, je tâche d’être aimable, parce que je sens qu’on a le droit de m’y condamner, puisque la plupart des femmes qui me voient s’en excusent sur quelques agréments de mon esprit. Il ne m’est permis en société d’être ni triste ni malade.

Les femmes ne sont pas encore ce que je crains le plus, elles n’ont point de véritable irritation contre une personne qui ne leur fait point ombrage ; les prudes même ne déploient toute leur sévérité que contre les femmes décidément supérieures ; mais les hommes ! si vous saviez quel mal ils me font, sans réflexion, sans méchanceté même ! quelle légèreté dans les discours qu’ils me tiennent ! combien il est difficile de leur apprendre que j’ai changé de vie, et que je n’aspire plus qu’aux égards dont je me riais autrefois !

On vous calomnie quand vous n’y êtes pas, et vous en imposez presque toujours quand on vous voit. Moi, l’on ne se donne pas la peine de me dénigrer en mon absence ; mais le ton avec lequel on m’adresse la parole, chaque circonstance,