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DELPHINE.

soyez-le. — Que vous importe ? lui répondis je, regrettant déjà ce qui m’était échappé : si je l’aime, je partirai, je mourrai ; laissez-moi. » Dans ce moment madame de Lebensei entra ; et, soit que Mathilde ne voulût pas rester avec elle, soit qu’elle eût besoin de réfléchir à ce qui s’était passé entre nous, elle sortit de ma chambre sans prononcer une parole, et je la laissai partir, confondue moi-même de ce que je venais de dire, ne sachant plus si c’était un crime ou une vertu, et n’étant digne, en effet, ni d’approbation ni de blâme ; car je n’avais été qu’entraînée, et, n’ayant eu le temps d’aucune réflexion, je ne m’étais décidée à aucun sacrifice.

Que va-t-il arriver maintenant, Léonce ? je n’ose vous interroger sur ce que vous aura dit Mathilde ; je sais mon devoir, mais j’ignore encore comment il se manifestera à moi. Venez me voir, venez ; jouissons de ces jours peut-être les derniers. Ah ! pourquoi vous cacherais-je que mon cœur se brise, que j’éprouve comme une sorte de repentir !… Qu’allons-nous devenir ? du moins ne vous irritez pas contre moi, n’épuisons pas nos âmes en reproches et en justifications ; souffrons comme un coup du sort les suites d’une action complètement involontaire, et cherchons ensemble s’il peut nous rester encore quelques ressources.

LETTRE XXVI. — DELPHINE À MADAME DE LEBENSEI.
Ce 28 octobre.

Vous êtes partie fort inquiète, ma chère Élise, de ma conversation avec madame de Mondoville, et vous avez bien voulu me demander de vous écrire chaque jour ce qui pourrait en arriver : il s’en est déjà écoulé huit sans que j’aie entendu parler de Mathilde ; mais loin que ce silence me tranquillise, il redouble mon inquiétude. Depuis ce temps, Léonce ne l’a point vue ; elle s’est enfermée chez elle, ou elle est allée à l’église : son mari lui a fait demander plusieurs fois de la voir, elle l’a constamment refusé. Elle est sans doute bien malheureuse à présent, et elle était tranquille avant de m’avoir parlé. Oh ! que je serais coupable si, ne sachant avoir que la faiblesse des bons sentiments, et jamais leur force, je n’avais fait que troubler la vie de Mathilde par ma franchise, sans avoir le courage nécessaire pour lui rendre le bonheur !

Mademoiselle d’Albémar m’a blâmée assez vivement ; Léonce