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DELPHINE.

ennemis. Ne connaissez-vous pas le monde ? si vous pliez sous le poids de son injustice, il n’attribuera point votre abattement à la douleur, à la sensibilité de votre caractère ; vous êtes trop supérieure pour qu’on revienne à vous par la pitié ; c’est votre courage qu’il faut opposer aux mensonges de l’envie : si la bonté suffisait pour la désarmer, vous aurait-elle jamais attaquée ?


Mon amie, si tu me rends le calme et la force, en m’assurant que rien n’est changé dans tes projets ni dans ton cœur, nous en imposerons aux méchants : ne saurais-tu pas, avec de l’esprit et de la bonté, réussir aussi bien qu’eux avec de la sottise et de la perfidie ? Confions-nous un peu plus en nous-mêmes ; les envieux nous avertissent de nos qualités par leur haine, eh bien ! appuyons-nous sur ces qualités. Toi, Delphine, toi surtout, il te suffit de paraître pour plaire, de parler pour être aimée ; ose affronter cette société qui ne peut te braver qu’en ton absence, je te réponds du triomphe, et tu en jouiras pour moi. Mais quand nos communs efforts n’auraient pas le succès que j’en espère, quoi qu’il puisse arriver, n’ayez plus d’injuste défiance. Ne vous exagérez pas les faiblesses de votre ami, et que son amour vous réponde de son bonheur, tant qu’il pourra vous voir et que vous l’aimerez.

LETTRE XXII. — DELPHINE À MADAME DE LEBENSEI.
Paris, ce 25 septembre.

Combien vous m’avez témoigné d’amitié pendant les jours que vous avez passés près de moi : Je ne vous laisserai rien ignorer, ma chère Élise, de ce qui m’intéresse ; j’ai le bonheur de croire que votre cœur en est vivement occupé. Léonce est parvenu à me rassurer sur son sentiment ; nous avons ressaisi, pour la troisième fois, des espérances de bonheur qui étaient presque entièrement perdues ; mais, hélas ! je n’y ai plus la même confiance.

Quand Léonce a passé quelques jours sans aller dans le monde, il croit qu’il est devenu tout à fait insensible à cette injustice de l’opinion envers moi, qui l’a blessé si profondément ; mais il ne sait pas que cette douleur, quand on en est susceptible, revient aussi facilement qu’elle se dissipe, cesse et renaît, mais ne se guérit jamais entièrement. Lorsque Léonce en est atteint, il cherche à me le dissimuler, il s’efforce d’être calme ; mais je