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QUATRIÈME PARTIE.

les condamnant à rester liés pour toujours à l’objet qui les rend profondément infortunés ? Ce supplice serait-il ordonné par la bonté suprême ? et la miséricorde divine l’exigerait-elle pour expiation d’une erreur ?

Dieu a dit : Il ne convient pas que l’homme soit seul : cette intention bienfaisante ne serait pas remplie s’il n’existait aucun moyen de se séparer de la femme insensible, ou stupide, ou coupable, qui n’entrerait jamais en partage de vos sentiments ni de vos pensées ! Qu’il est insensé celui qui a osé prononcer qu’il existait des liens que le désespoir ne pouvait pas rompre ! La mort vient au secours des souffrances physiques, quand on n’a plus la force de les supporter ; et les institutions sociales feraient de cette vie la prison d’Hugolin, qui n’avait point d’issue ! Ses enfants y périrent avec lui ; les enfants aussi souffrent autant que leurs parents quand ils sont renfermés avec eux dans le cercle éternel de douleurs que forme une union mal assortie et indissoluble.

La plus grande objection que l’on fait contre le divorce ne concerne point la situation où se trouve M. de Mondoville, puisqu’il n’a point d’enfants ; je ne rappellerai donc point tout ce qu’on pourrait répondre à cette difficulté. Néanmoins je vous dirai que les moralistes qui ont écrit contre le divorce, en s’appuyant de l’intérêt des enfants, ont tout à fait oublié que si la possibilité du divorce est un bonheur pour les hommes, elle est un bonheur aussi pour les enfants, qui seront des hommes à leur tour. On considère les enfants en général comme s’ils devaient toujours rester tels ; mais les enfants actuels sont des époux futurs ; et vous sacrifiez leur vie à leur enfance, en privant, à cause d’eux, l’âge viril d’un droit qui peut-être un jour les aurait sauvés du désespoir.

J’ai dû, m’adressant à un esprit de votre force, discuter l’opinion qui vous intéresse sous un point de vue général ; mais combien je suis plus sûr encore d’avoir raison en ne considérant que votre position particulière ! Léonce voulait s’unir à vous ; c’est par une supercherie qu’il est l’époux de mademoiselle de Vernon ; vous n’avez pu renoncer l’un à l’autre : vous passez votre vie ensemble, Léonce n’aime que vous, n’existe que pour vous ; sa femme l’ignore peut-être encore, mais elle ne peut tarder à le découvrir ; votre généreuse conduite envers M. de Valorbe a été la première cause des abominables injustices dont vous souffrez ; mais il était impossible que tôt ou tard votre attachement pour Léonce ne vous fit pas beaucoup de tort dans l’opinion. Vous vivez, par un hasard que vous devez