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DELPHINE.

nestes. La vertu, si même il en faut pour partager l’infortune quand on a partagé le bonheur, la vertu n’exige alors qu’un dévouement tellement conforme à une nature généreuse, qu’il lui serait tout à fait impossible d’agir autrement. Mais les Anglais, dont j’admire, sous presque tous les rapports, les institutions civiles, religieuses et politiques, les Anglais n’ont eu tort de n’admettre le divorce que pour cause d’adultère : c’est rendre l’indépendance au vice, et n’enchaîner que la vertu ; c’est méconnaître les oppositions les plus fortes, celles qui peuvent exister entre les caractères, les sentiments et les principes.

L’infidélité rompt le contrat, mais l’impossibilité de s’aimer dépouille la vie du premier bonheur que lui avait destiné la nature ; et quand cette impossibilité existe réellement, quand le temps, la réflexion, la raison même de nos amis et de nos parents la confirment, qui osera prononcer qu’un tel mariage est indissoluble ? Une promesse inconsidérée, dans un âge où les lois ne permettent pas même de statuer sur le moindre des intérêts de fortune, décidera pour jamais le sort d’un être dont les années ne reviendront plus, qui doit mourir, et mourir sans avoir été aimé !

La religion catholique est la seule qui consacre l’indissolubilité du mariage ; mais c’est parce qu’il est dans l’esprit de cette religion d’imposer la douleur à l’homme sous mille formes différentes, comme le moyen le plus efficace pour son perfectionnement moral et religieux.

Depuis les macérations qu’on s’inflige à soi-même, jusqu’aux supplices que l’inquisition ordonnait dans les siècles barbares, tout est souffrance et terreur dans les moyens employés par cette religion pour forcer les hommes à la vertu. La nature, guidée par la Providence, suit une marche absolument opposée ; elle conduit l’homme vers tout ce qui est bon, comme vers tout ce qui est bien, par l’attrait et le penchant le plus doux.

La religion protestante, beaucoup plus rapprochée du pur esprit de l’Évangile que la religion catholique, ne se sert de la douleur ni pour effrayer ni pour enchaîner les esprits. Il en résulte que dans les pays protestants, en Angleterre, en Hollande, en Suisse, en Amérique, les mœurs sont plus pures, les crimes moins atroces, les lois plus humaines ; tandis qu’en Espagne, en Italie, dans les pays où le catholicisme est dans toute sa force, les institutions politiques et les mœurs privées se ressentent de l’erreur d’une religion qui regarde la contrainte et la douleur comme le meilleur moyen d’améliorer les hommes.