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DELPHINE.

sûr. Après avoir lu ces paroles, vous pressentirez sans doute quel est le sujet que je veux traiter avec vous ; et l’émotion, l’incertitude, des sentiments divers et confus, vous auront tellement troublée, que vous n’aurez pu d’abord continuer ma lettre ; reprenez-la maintenant.

Je ne connais point madame de Mondoville ; sa conduite envers ma femme a dû m’offenser, je me défendrai cependant, soyez-en sûre, de cette prévention ; votre bonheur est le seul intérêt qui m’occupe. J’ignore ce que vous et votre ami pensez du divorce, je me persuade aisément que l’amour suffirait pour vous entraîner tous les deux à l’approuver ; mais cependant, madame, je connais assez votre raison et votre âme pour croire que vous refuseriez le bonheur même, s’il n’était pas d’accord avec l’idée que vous vous êtes faite de la véritable vertu. Ceux qui condamnent le divorce prétendent que leur opinion est d’une moralité plus parfaite ; s’il en était ainsi, il faudrait que les vrais philosophes l’adoptassent : car le premier but de la pensée est de connaître nos devoirs dans toute leur étendue ; mais je veux examiner avec vous si les principes qui me font approuver le divorce sont d’accord avec la nature de l’homme et avec les intentions bienfaisantes que nous devons attribuer à la Divinité.

C’est un grand mystère que l’amour : peut-être est-ce un bien céleste qu’un ange a laissé sur la terre ; peut-être est-ce une chimère de l’imagination, qu’elle poursuit jusqu’à ce que le cœur refroidi appartienne déjà plus à la mort qu’à la vie. N’importe ! si je ne voyais dans votre sentiment pour Léonce que de l’amour, si je ne croyais pas que sa femme disconvient à son caractère et à son esprit sous mille rapports différents, je ne vous conseillerais pas de tout briser pour vous réunir ; mais écoutez-moi l’un et l’autre.

De quelque manière que l’on combine les institutions humaines, bien peu d’hommes, bien peu de femmes renonceront au seul bonheur qui console de vivre : l’intime confiance, le rapport des sentiments et des idées, l’estime réciproque, et cet intérêt qui s’accroît avec les souvenirs. Ce n’est pas pour les jours de délices placés par la nature au commencement de notre carrière afin de nous dérober la réflexion sur le reste de l’existence, ce n’est pas pour ces jours que la convenance des caractères est surtout nécessaire ; c’est pour l’époque de la vie où l’on cherche à trouver dans le cœur l’un de l’autre l’oubli du temps qui nous poursuit et des hommes qui nous abandonnent. L’indissolubilité des mariages mal assortis prépare des mal-