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DELPHINE.

d’estime pour l’amitié parfaite que vous témoignez à madame d’Albémar !

LETTRE XIV. — DELPHINE À M. DE LEBENSEI.
Ce 1er septembre.

Je sais tout ce que mes amis ont voulu me cacher, j’ai tout appris, ou j’ai tout deviné. Ce que j’éprouve m’est amer : j’avais marqué à l’injustice sa sphère ; je croyais qu’elle m’accuserait d’imprudence, de faiblesse, de tous les torts, excepté de ceux qui peuvent avilir ! Je vous l’avouerai donc, je souffre depuis quinze jours une sorte de peine dont il me serait douloureux de m’entretenir, même avec vous. Cependant ma fierté doit triompher de ce chagrin, quelque cruel qu’il puisse être ; mais ce qui déchire mon cœur, c’est la crainte de l’impression que Léonce peut en recevoir : il est arrivé hier d’Andelys et n’est point encore venu chez moi ; je sais qu’il a été à Cernay ; vous a-t -il trouvé ? que vous a-t-il dit ?

Ne craignez point, monsieur, de me parler avec une franchise sévère. Si j’étais réservée à la plus grande des souffrances, si l’affection de celui que j’aime était altérée par la calomnie dont je suis victime, j’opposerais encore du courage à ce dernier des malheurs. Conseillez-moi ; je me sens capable de tous les sacrifices : il y a des chagrins qui donnent de la force ; ceux qui offensent une âme élevée sont de ce nombre.

LETTRE XV. — LÉONCE À M. DE LEBENSEI.
Paris, ce 1er septembre.

J’ai reconnu en vous, monsieur, dans les divers rapports que nous avons eus ensemble, un esprit si ferme et si sage, que je veux m’en remettre à vos lumières dans une circonstance où mon âme est trop agitée pour se servir de guide à elle-même. Un de mes amis m’a écrit à Andelys que la réputation de madame d’Albémar était indignement attaquée ; et c’est à ma passion pour elle, aux fautes sans nombre que cette passion m’a fait commettre, que je dois attribuer son malheur et le mien. J’espérais savoir de vous le nom de l’infâme qui avait calomnié mon amie ; je ne vous ai pas trouvé ; je suis revenu à Paris, et je n’ai eu que trop tôt la douleur d’apprendre qu’un vieillard