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DELPHINE.

rencontre où Léonce avait grièvement insulté M. de Valorbe. Non ! je n’ai pu vous écrire une semblable infamie sans que mon front se couvrit de rougeur. Juste ciel ! c’est donc ainsi qu’on veut punir une âme innocente de sa générosité même ! c’est ainsi que l’on outrage le caractère le plus noble et le plus pur ! Deux êtres méchants, et le reste indifférent et faible, vailà ce qui décide la réputation d’une femme au milieu de Paris !

Madame du Marset et M. de Fierville ont voulu se venger ainsi, dit-on, d’un jour où Léonce les a profondément humiliés en défendant madame d’Albémar. Maintenant, que faut-il faire pour la servir ? Aidez-moi, je vous en conjure, et cachons-lui surtout qu’elle a pu être l’objet d’une pareille calomnie ; sa santé la retient encore chez elle, et je lui ai conseillé de fermer sa porte. Léonce est allé conduire sa femme à la terre d’Andelys, qu’elle tient des dons de Delphine, et sans laquelle, hélas ! elle n’eût jamais épousé M. de Mondoville. Je l’aurais consulté lui-même dans cette circonstance, puisque l’âge de M. de Fierville ne permet pas de craindre un événement funeste ; mais il est absent, et je suis seule au milieu d’un monde bien nouveau pour moi, et dont la puissance me fait trembler : néanmoins j’ai vaincu ma répugnance pour la société ; j’y vais, J’irai chaque jour, j’y répéterai ce qui justifie glorieusement mon amie. Sans avouer le sentiment de Delphine pour Léonce, je ne le démentirai point ; car je veux mettre toute ma force dans la vérité, il ne me reste qu’elle : je suis ici une étrangère, sans agréments, sans appui, intimidée par ma figure et mon ignorance de la vie ; n’importe, j’aime Delphine, et je soutiens la plus juste des causes.

Je ne sais à qui m’adresser, je ne sais de quels moyens on se sert ici pour repousser la calomnie : mais je dirai tout ce que mon indignation m’inspirera : peut-être enfin triompherai-je de l’envie, seul genre de malveillance que ma douce et charmante amie puisse redouter. Je n’avais pas idée du mal que peut faire l’opinion de la société quand on a trouvé l’art de l’égarer. Oui, ceux qu’on est convenu d’appeler des amis me font plus souffrir encore que les ennemis mêmes : ils viennent se vanter auprès de vous des services qu’ils prétendent vous avoir rendus, et l’on ne peut démêler avec certitude si, pour augmenter le prix de leur courage, ils ne se plaisent pas à exagérer les attaques dont ils prétendent avoir triomphé ; d’autres se bornent à vous assurer que, quoi qu’il arrive, ils ne vous abandonneront pas, et vous ne pouvez pas leur faire expliquer ce