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QUATRIÈME PARTIE.

ce supplice aurait duré, si mademoiselle d’Albémar, ne pouvant plus le supporter, n’eût pris sur elle de déclarer à madame du Marset que j’étais encore très souffrante de ma dernière maladie, et que j’avais dans ce moment besoin de repos. Madame du Marset reçut ce congé avec un air assez méchant, et je ne doute pas, d’après ce que j’ai su depuis, qu’elle ne fût venue pour examiner ce qui se passait chez moi.

Quand elle fut sortie, Léonce ouvrit la porte, et rentra avec M. de Valorbe. Je voulus le questionner ; mais la violence que je m’étais faite pendant la visite de madame du Marset m’avait jetée dans un tel état, qu’en essayant de parler, je tombai comme sans vie aux pieds de Léonce. Quand je revins à moi, on m’avait transportée dans ma chambre ; Léonce tenait une de mes mains, ma sœur l’autre, et ma petite Isaure pleurait au pied de mon lit : il fut doux, ce moment, ma chère Élise, où je me retrouvais au milieu des mes affections les plus chères, où les regards de Léonce m’exprimaient un intérêt si tendre ! « Ma douce amie, me dit-il, pourquoi vous effrayer ainsi ? tout est terminé, tout l’est comme vous le désirez ; calmez donc cette âme si sensible : ah ! vous m’aimez, je veux vivre, ne craignez rien pour moi. »

Je lui demandai de me raconter ce qui venait de se passer entre M. de Valorbe et lui. « Je le croyais décidé, me dit-il, quand j’arrivai ; mais comme j’avais vu M. de Lebensei, qui m’avait donné de véritables inquiétudes sur les dangers que courait M. de Valorbe, j’étais disposé à me prêter à la réconciliation, s’il la désirait. Il a commencé par me demander si je pouvais lui garantir que rien de ce qui était arrivé hier au soir ne serait jamais connu : je lui ai dit que je lui donnais ma parole, en mon nom et de la part de M. de Lebensei, que le secret serait fidèlement gardé, et que je ne croyais pas que personne, excepté lui et moi, en fût instruit. Il m’a fait encore quelques questions, toujours relativement à la publicité possible de notre aventure ; je l’ai rassuré à cet égard, autant que je le suis moi-même, sans pouvoir lui donner cependant une certitude positive ; car j’étais trop ému hier au soir pour avoir rien remarqué de ce qui se passait autour de moi. M. de Valorbe a réfléchi quelques instants, puis il a prononcé votre nom à demi-voix ; il s’est arrêté, ne voulant pas sans doute que je susse que vous seule décidiez de sa conduite dans cette circonstance : vous seule aussi, ma Delphine, vous m’aviez inspiré les mouvements doux que j’éprouvais ; votre souvenir